lundi 3 septembre 2007

Partie 2 - Chapitre 14 - Parenthèse italienne

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Conformément à Sa volonté, nous nous isolâmes dans la chambre du premier. Depuis mon départ, Papa, fixé qu’il était au sol, n’avait pas du y séjourner beaucoup. Cette pièce, son refuge à elle, renfermait les bribes de l’amour qui les avait unis. Une photo sous verre aux tons sépia, clouée au dessus du lit, rappelait l’époque où Papa pouvait encore tenir la main de Phame sans que cela soit un appel à l’aide. De la joaillerie bon marché disposée sur la commode demeurait à jamais en souvenir de l’époque où ils riaient de se faire mille et une surprise. Cette vision intacte de la chambre à coucher m’apaisa et une esquisse incontrôlée de sourire se dessina sur mon visage. Phame s’était assise sur la couverture de son lit. Elle prit mes mains, les regarda puis sans les relâcher éleva vers moi son regard. Elle semblait émue.


- Pardonne moi Carol-Anne. Pardonne moi de t’avoir parlé tel que je l’ai fais tout à l’heure. J’étais si renversée de ton retour soudain que mes mots dépassèrent, de loin, mes pensées. Je t’ai fais du mal devant tes amis et je m’en veux terriblement à présent. Tout à l’heure, lorsque nous redescendrons, c’est promis, je leur présenterai mes excuses. Car à y bien réfléchir ton retour ne peut que nous faire du bien. A moi et à ton père. Tu as vus de tes yeux le délabrement physique de notre vie. Ton Père est une loque et la maison un taudis. Je me bats jour et nuit pour conserver un minimum d’ordre ici mais cela m’est si compliqué. S’occuper de cet impotent, crois moi, est une activité à plein temps. Exténuée de subvenir à tous ses besoins, j’ai peu de temps pour l’entretien de la maison. Et s’il m’arrive de me dégager une minute alors je ferme les yeux et m’endors. Ton père ? et bien pour ne rien te cacher, sache que son physique n’est rien comparé à son état mental. Il dégénère ma pauvre. Ton père perd les pédales. Et s’il était un vélo, il y a bien longtemps que je l’eus fourgué au ferrailleur. Ta disparition a probablement accéléré un processus déjà bien amorcé. D’une descente en pente douce tu l’as précipité dans un gouffre abyssal. Tu sais lorsque que tu nous as rejoins tu as accomplis son plus grand rêve. Former une famille. Avec toi, enfin nous en étions une. Le monde pouvait s’arrêter de tourner, qu’importe, nous étions ensemble. Et rien ne semblait pouvoir nous séparer. Sauf que tu en as décidé autrement. Tu reviens aujourd’hui des idées pleins la tête. Ainsi tu crois que ton père est Dieu, mais où diable as tu été chercher cela. Bien sûr il va pardonner les pêchés de tes amis... ben voyons c'est du n'importe quoi! Ton esprit est encore libre et a besoin d’être orienté. J’ai peut-être échoué en tant que mère mais je veux aujourd’hui t’aider. Depuis ta naissance ta vie est un parcours du combattant. Aucune zone de repos ne te semble accordée comme si chacun de tes choix était le mauvais. Or pour chacun d’entre nous il existe un parcours facile et un autre plus difficile. Et ces deux chemins mènent au même point c’est à dire au lendemain. Car c’est bien là, la misère et la simplicité de nos vies: conduire notre corps tel une barque au jour suivant et recommencer l’opération jour après jour. Ne crois pas qu’il existe des hommes aux vies meilleures que la tienne. Non ce n’est pas vrai. L’égalité des hommes face à la vie et la mort est réelle encore faut-il offrir à sa barque une mer clémente. Toi, tu t’es engagée dans le parcours difficile. Mer agitée, tempête, requins à perte de vue. Alors il est de mon devoir de te montrer la passerelle qui te fera rejoindre le parcours simple. Et cette passerelle elle est en toi. Tu ignores trop de choses de ton passé alors je dois te révéler ce que je sais de toi. Et ainsi je crois que la lumière jaillira et que cette passerelle ne sera plus une vue de l’esprit mais un passage bien réel que tu ne pourras éviter. Vois-tu, j’aimerais profiter du moment qui nous est offert pour te parler d’une lecture que j’ai eue il y a peu. Sur mon chevet il y a un livre. L’histoire que l’on y conte me fait étrangement penser à la tienne. Alors s’il te plaît Carol-Anne donne le moi.


  • Est-ce là une histoire d’amour ? l’interrogeai-je

  • Non…. Quelle stupide question. Dans ta vie il n'y a pas d'amour. Personne ne t'a aimé personne ne t'aime et personne ne t'aimera

  • Est-ce une histoire d’aventure ?

  • Pas vraiment. Car ta vie est telle mon automne monotone, telle une terre sans relief.

  • Un livre policier ?

  • Non plus, car il y a dans ta vie autant de péripéties qu'il y a de meurtres aux cieux. Maintenant donne moi ce livre tu m’agaces avec tes questions!


Je le lui donnai. Il s’intitulait « La sorcière de Sienne ».


  • Êtes vous bien certaine qu’il s’agisse de ce livre? Je doute que l’on y parle de moi…

  • Allez assieds toi à mes côtés et écoute


Elle posa l’épais ouvrage sur ses genoux et commença.


- L’histoire de ce livre va te sembler bien ancienne et c’est vrai qu’elle ne date pas d’hier. Mais j’y note certaines similitudes entre toi, Carol-Anne, et Catherine, dont le livre narre l'existence. Dans le cité de Sienne en Toscane, au milieu du XIVème siècle, en 1347 précisément si ma mémoire ne me fait pas défaut, naît Catherine, une enfant pas comme les autres. A jamais elle va marquer la région, on la surnomme encore de nos jours la sorcière de Sienne. Ses parents sont bons et simples. Bien qu’issue des couches populaires, la famille de Catherine, ne manque de rien. Jacques son père travaille ardemment. Il exerce le métier de teinturier et les affaires marchent plutôt bien pour lui. Dans son labeur quotidien il se fait assister de ses garçons, les frères de Catherine. Lapa sa femme et maman de Catherine s’occupe de la maison et de l’éducation des enfants. Il faut dire qu’elle est plutôt débordée. Bien qu’aucun recensement précis ne le confirme l’on estime le nombre des ses enfants à plus de vingt cinq. Ses grossesses se succèdent années après années. Jusqu'à l’arrivée de Catherine et de sa sœur. Car oui, Catherine à une jumelle. Et dès le jour de sa naissance Catherine fit démonstration de l'étendue de son pouvoir de sorcellerie. Lapa contempla les deux corps affaiblis de ses filles et comprit qu’elle ne pourrait nourrir de son lait les deux enfants. Elle devait sacrifier une jumelle. La petite Jeanne fut donc baptisée puis abandonnée. Et à peine descendue sur Terre elle remonta au Ciel. Catherine l’avait tuée. Elle avait profité de son pouvoir pour influencer le choix de Lapa. Il est facile d’imaginer qu’en pleine possession de ses facultés de raisonnement Lapa eût choisi Jeanne tant cet enfant était beau comparé à Catherine qui toute sa vie durant eut bien du mal à se hisser dans la moyenne basse des jeunes filles de son âge. De son lait Lapa put donc nourrir intégralement Catherine. D’ailleurs elle ne tomba pas enceinte tant que cet allaitement fut achevé. Un peu comme toi, Catherine fut dès son plus jeune âge une enfant à part. Elle noua par on ne sait quel moyen un lien avec le Démon et pensa qu’il s’agissait du Seigneur. Son entourage s’aperçut que cet enfant était anormal. Elle passait son temps à agir telle une adulte leur professant leçons sur leçons... eux dont l’expérience de la vie était grande. Elle ne parlait pas comme un enfant de son âge, non, elle employait des formules utilisées d’ordinaire par des gens de grande maturité. Mais c’était l’esprit du Malin qui parlait. Oui le Malin avait trouvé refuge dans ce corps de gamine. Catherine était comme toi Carol-Anne. Elle passait beaucoup de temps à jouer dans les escaliers. Je t’ai vu souvent y courir bien que l’on te l’interdisait. Et bien Catherine lorsqu’elle montait ou descendait les escaliers, elle fléchissait le genou à chaque degré. C’était comme le début de son culte du Démon.


J’écoutais patiemment son histoire sans vraiment comprendre ce que Phame cherchait à me faire comprendre. Distraite j’écoutais également les voix qui du rez-de-chaussée s’élevaient J’avais envie de savoir ce qui se tramait en bas alors pressée d’en finir je glissai :


  • J’ai envie de descendre maintenant.


- C’est bientôt terminé Carol-Anne reprit-elle. Écoute plutôt la suite. Un jour Lapa demanda à Catherine, qui devait avoir six ans, d’aller avec l’un de son frère Étienne porter quelques provisions à leur sœur Bonaventura qui était déjà une femme mariée. Lorsque la course fut terminée, Catherine eut sur le chemin du retour une vision du Diable. Pour mieux tromper la jeune enfant, ce diable s’était déguisé en Jésus. Il l’attendait dans la descente dite de la Valle Piata. A sa vue Catherine resta bouche bée. Le diable posa sur elle un regard d’amour et sa main sur son épaule. Elle put ainsi recevoir l’éternelle malédiction. Étienne ne comprenait pas ce qui se passait car pour lui le diable était invisible. Il secoua alors violemment sa sœur pour la ramener à la raison et y parvint. Mais elle n’était plus la même. Dorénavant elle se consacrerait à son amant céleste. Pour lui témoigner sa dévotion elle commença, en secret, à se flageller à l’aide d’une cordelette. Son pouvoir de sorcière travaillait l’esprit des enfants de son âge. Nombreuses lui emboitèrent le pas. Et cachées dans l’obscurité de sa chambre, les fillettes se joignirent à Catherine. Elle se passaient la cordelette et se flagellaient les unes les autres. Puis Catherine diminua de manière importante sa prise quotidienne de nourriture. Elle qui était déjà maigrelette mangeait de moins en moins. Lorsque de la viande était servie elle s’arrangeait pour la donner à l’un de ses frères ou même parfois à la jeter aux chats. Elle pensait devenir Sainte pour Dieu mais en réalité elle se transformait en sorcière. Lapa fut témoin de cette transformation. Car les exercices de génuflexion de Catherine portèrent leur fruit et vint le jour où, sous le regard affectueux de sa mère, elle fut soulevée dans les escaliers. Ses pieds ne touchaient plus les marches. La sorcière prenait conscience de sa puissance. Puis comme toi un jour elle décida de fuir la demeure familiale. Elle voulait gagner le désert mais ne trouva que la campagne. Elle y vécue seule dans une grotte. Elle consacra son temps à l’adoration tout en luttant contre sa chair. Elle revint un beau jour, soi disant par les airs et transportée par Dieu. Mais son retour fit plus de mal que de bien. A douze ans il était bientôt l’heure pour Catherine de se marier. Mais comme je te l’ai dit tout à l’heure elle était loin d’être belle. Alors Lapa essaya de lui apprendre les soins du corps. Elle voulait que Catherine connaisse la beauté féminine. Mais Catherine se montra très résistante. Elle ne voulait rien savoir, seule sa dévotion envers le Seigneur importait. Lapa dut faire appel à Bonaventua, la sœur de Catherine. En effet Catherine avait toujours ressentie une grande affection pour Bonaventura. Cette dernière tenta donc d’aider sa jeune sœur à cultiver sa beauté. Et à force d’insister Catherine céda et accepta de suivre les conseils de Bonaventura. Mais elle faisait tout cela à contre cœur. Quand la nuit tombée elle gagnait sa chambre Catherine entrait en méditation et confiait à celui qui là haut l’écoutait combien ses journées étaient pénibles. Alors le puissant entra en action. Dieu où Diable peu importe, la sanction fut sans appel. Jaloux il était. Catherine avait un amant céleste alors hors de question de la marier à un autre. Il ne toléra pas qu’on l’éloigne ainsi de sa fiancée. Regarde Carol-Anne s'empressa d'ajouter Phamela en ouvrant l'ouvrage à une page préalablement écornée, c’est marqué ici « sont odieux à Dieu, ceux qui retiennent ou retardent les âmes qui veulent le servir ». Alors Il sacrifia Bonaventura. Les prières de Catherine furent exaucées, Bonaventura tomba gravement malade et mourut peu après. Catherine venait de tuer se seconde sœur. Ce doit être commun chez les sorcières. L’obstacle abattu Catherine redoubla d’effort pour plaire à son bien aimé. Elle cessa quasiment de s’alimenter. Tiens écoute cela Carol-Anne « elle avait plus de peine à prendre de la nourriture qu’un affamé à en être privé ».


Cette histoire m’énervait de plus en plus.


  • Je ne vois pas le rapport avec moi. Alors, maintenant c’est bon je peux rejoindre mes amis.


J’en étais presque à la supplier. Mais Phame ne m’écoutait pas.


- Lapa et Jacques ne comprirent pas que leur Catherine venait d’assassiner Bonaventura. Ils continuèrent à vouloir la marier. Pour couper court à leur idée de mariage, Catherine se rasa entièrement le crâne ce qui provoqua la grande colère de ses parents. Car vous les petites filles êtes très douées pour pousser à bout vos parents. Lapa était particulièrement en colère. Elle comprit qu’il ne fallait plus laisser Catherine seule. En effet elle passait son temps à prier. Alors Catherine devint la Cosette de la maison. Lapa pensait qu’en occupant sa fille cette dernière ne pourrait se consacrer à son amant céleste. A toi aussi Carol-Anne l’on t’a imposé les travaux ménagers de la maison. Et comme pour Catherine tout cela était pour ton bien. Mais vous n’en faîtes décidément qu’à votre tête. Lapa ne soupçonna pas à quel point sa fille était devenue forte. Son amour puissant la maintenait en vie. Elle ne passait plus ses journées enfermées et elle s’en fichait éperdument. Elle se construisit une bulle mentale dans laquelle elle s’enferma pour prier son Dieu. Et sa dévotion fut encore plus importante. Car dorénavant elle pouvait s’y consacrer du matin au soir alors qu’avant elle ne le faisait que lorsqu’elle se trouvait dans sa chambre. Alors comme la raison de ses parents ne pouvait atteindre Catherine, Jacques décida de lui accorder une petite chambre. Oui les hommes sont toujours trop faible. La vie de Catherine devint alors synonyme d’austérité et de rigueur. Elle affligea son corps de tant de pénitences qu’il n’était pas rare de la retrouver couverte de sang. Elle oublia de manger et de boire. Elle se priva même de pain et n’ingéra plus que des herbes. Ici dit l’auteur « Vers l’âge de quinze ans, elle abandonna complètement le vin et ne but plus que de l’eau ». Elle dormait sur un lit de planches et vaincu le sommeil. Sa privation était complète. Et elle continuait de se flageller. Maintenant elle portait sous ses vêtements une chaîne de fer qui cerclait son corps et pénétrait dans sa chair. Elle s’obligeait trois séances de flagellations par jour. Chacune durait une heure et demie. Ses blessures étaient nombreuses. Preuves de son amour divin. Et puis elle décida de punir sa famille. Comme je te l’ai dis Jacques était un homme appliqué au travail. Sa famille vivait honnêtement et chacun pouvait manger à sa faim. Mais Catherine ne supportait pas l’abondance. La richesse matérielle était à ses yeux un mal à éradiquer. Alors elle exerça son pouvoir de sorcière et frappa. Sa première cible fut son père, source de la richesse familiale. Elle s’arrangea pour le mener à la faillite. Une série d’accidents se produisit et la famille sombra dans une extrême pauvreté….


Tout à coup un bruit de lourde chute en provenance du bas fit trembler les murs de la chambre. Impatiente je marquai mon exaspération


  • Bon, c’est bon là ! moi j’y vais.


Me précipitant vers les escaliers ses derniers mots me parvinrent :


- Vas-y ! et fout le camp de notre maison. Je sais que tu es revenue pour nous détruire. 2007 - 1347 ça fait 660, je sais que c'est pas vraiment le chiffre du démon mais quand même ça y ressemble étrangement. Tu n’imposeras pas chez nous la souffrance qu’a administré la sorcière Catherine à Jacques et Lapa. Nous te survivrons...






... to be continued

la suite sera en ligne mercredi 12 septembre.

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