lundi 27 août 2007

Partie 2 - Chapitre 13 - C’est comme ça les choses tournent au vinaigre et l’on y peut rien…

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Phame ne s’attendait pas à me trouver derrière la porte. Ni moi, ni mes quatre compères. Il était tard et la nuit était presque tombée. Phamela avait avalé son souper, enfilé sa robe de chambre rouge molletonnée et s'apprêtait à gagner le lit. Mais mon irruption soudaine allait foutre en l'air la monotonie de ce train-train si bien réglé. J'étais debout sur la plus haute marche du perron tandis que mes partenaires attendaient juste en dessous. Ils affichaient une fausse décontraction car chacun, seul avec ses pensées, savait qu'il jouait gros ce soir. La lourde voix de Phame décocha un "Qui est là?" qui traversa la porte épaisse. Je sentis alors un frisson pénétrer mes amis qui étaient peu habitués à un timbre de voix aussi agressif. Et sans me laisser le temps de répondre à sa question elle ouvrit la porte. Lorsqu'elle reconnut mon visage son sourire de circonstance s'effaça pour laisser place à une crispation proche de la grimace. J'en étais comme ravis. Cette distorsion de la bouche ruina à néant sa volonté de feindre la surprise. J’avais l’intime conviction que depuis ma fugue elle ruminait l’attitude à adopter à mon retour. Surtout ne pas faire d’esclandre. Ce serait manifester trop d’importance à la petite Carol-Anne. Phame voulait se la jouer genre « Ah te voilà, alors où étais tu passée ? » et puis innocemment retourner à ses occupations. Éviter tout grabuge. Malheureusement ses traits ne répondirent pas à ses directives mentales et Phame ne trouva pas le relâchement escompté. Bien au contraire. Elle se montra sous son plus mauvais jour, la face tordue et disgracieuse. Immédiatement elle s’en aperçut. Si fermer les yeux et la porte, l’avaient pu reconduire dix secondes en arrière alors elle ne se serait pas privée de recourir à ce stratagème. Mais les voyages dans le temps n’existent que pour les heureux possesseurs de De Loréan, les autres n'ayant d'autres choix que d'assumer leurs actions. Phame resta pétrifiée et immobile incapable d’articuler le moindre mot. Et oui, Madame, lorsque l’on est interdite l’on ne tire pas les ficelles de ses cordes - vocales - aussi facilement que l’on se l’imagine. Ce fut donc à moi de prendre les devants.


- Bonsoir, je sais que ce n’est pas une heure pour me montrer à vous mais voilà, moi et mes amis avons beaucoup marchés alors si vous voulez nous laisser entrer ce serait très généreux de votre part. Je viens rendre visite à mon Père et lui rapporter ce que je lui ai emprunté.


Elle affichait une expression hagarde, on aurait dit une vieille peau morte. Je laissai passer vingt secondes puis je poursuivis.


- Cela ne va pas Madame ? Vous ai-je froissée ? Vous êtes aussi figée qu’une statue sans vie et aussi volubile qu’un muet mort. Serait-ce l’effet de mon retour ? J’en suis désolée, ce n’était pas là mon intention. Mes amis et moi sommes venus dans un esprit d’ouverture. Nous devons parler à Notre Père et quand bien même mon arrivée ne vous transporte pas de joie vous ne pouvez vous y opposer. Maintenant laissez nous entrer.


Obéissante elle s’écarta afin que son corps ne soit plus un obstacle hissé entre nous et Dieu. Je passai la première suivie de près par Fimevissipi. Mac Humclyneure sur ses gardes poussa le fauteuil sur lequel Nouille la grenouille ouvrait grand les yeux. Enfin Renifl’Or, aux aguets comme s’il reprenait du service, se faufila à l’intérieur. Dans le hall d’entrée, c’était l’obscurité. Une plante monotone attendait la mort. Un filet de lumière qui émanait du faible éclairage de la pièce voisine nous permettait tout juste de nous distinguer. Ce noir n’était pas pour nous rassurer. Il nous reçut dans la salle à manger. Je ne Le remarquai pas tout de suite. C’est l’odeur écœurante qui me frappa tout d’abord. S'ensuivit une vive nausée et une envie de dégobiller que je peinai à faire taire. Oui ce renfermé tiède et fétide était du genre à soulever les estomacs. Même Renifl’Or eut un temps d’arrêt. Je préférai ne pas imaginer l’étendue des ravages qu’une telle odeur pouvait occasionner sur son nez parfait. Je lus la question que formulait les esprits de mes acolytes : Dieu est-il porteur de purification ou de putréfaction ? Car à cet instant précis il ne portait rien. Étendu de tout son long à même le sol il paraissait souffrant. A notre arrivée Il se recroquevilla ce qui me rassura quelque peu. Il était en vie. Néanmoins tout était suspect ici. Père grelottait. Son corps se cabrait sous l'effet des convulsions et soubresauts. De la nourriture, bouillie immangeable, jonchait le sol. Pas d’assiette, ni de gamelle. Quelqu’un (Phame ?) devait estimer que sa condition d’handicapé, ne méritait pas ce traitement de luxe réservé aux hommes et aux animaux. De plus, ce que l’on aurait pu désigner comme sa dépouille si le souffle vital l’avait quitté, transpirait la crasse tout comme l’intérieur sordide de cette maison. Il était devenu une limace qui ne pouvait inspirer que dégoût et rejet. Mais je savais qui il était. Outrepassant mes peurs je m’en approchai. Ayant recouvré ses esprits, Phame m’interrompit en usant du ton le plus agréable qu’elle possédait qui il faut bien le reconnaître ressemblait, tout comme l’âne s’apparente au bourricot, à celui qu’elle avait de plus contrariant.


- Alors tu es revenue….Tu décides quand tu t’en vas et quand tu rentres. Mais peut-être n’es-tu plus la bienvenue ici. Vois ce que tu as fait à ton père qui t’aimait. Avoir tué ses jambes cela n'était pas suffisant. Non ce que tu voulais c’était faire de lui ce qu’il y a plus misérable sur cette terre. Vois le, le misérable mollusque. Tu lui as volé sa mécanique roulante et depuis tu le laisses s’éteindre à feu doux. Oui il va mourir et tu en seras la fautive. L’unique responsable. Il s’est inquiété pour toi mais aujourd’hui nous t’avons oublié. Que viens tu faire ici ? Remuer la plaie autour du couteau c’est ça ? A quoi bon nous faire souffrir nous qui avons déjà trop souffert. Alors prends avec toi ta bande de paumés et fichez moi le camp.


La voie divine tant attendue s’éleva avec souffrance et fébrilité.


- Tais-toi Phame, Carol-Anne n’est pas venue pour toi alors ferme là et laisse la s’exprimer. Carol-Anne approche, je suis si heureux de te voir.


Je me penchai vers son corps en proie aux tourments et lui saisis la main droite.


- Merci Papa. De me recevoir et de m’accorder ton écoute. Sache tout d’abord que moi aussi je suis heureuse de te revoir. Bien plus que je ne l’avais imaginé en fait. Je suis cependant étonnée de voir dans quel état de délabrement physique tu vis. Peut-être comme elle le dit j’en suis la fautive mais je constate qu’elle n’a pas été d’un grand secours pour toi. Tu es puant et sale comment peut-elle t’abandonner ainsi.


A ce moment de la conversation, je crois me souvenir que Phame éleva la voix pour me mettre en garde mais déjà ses mots ne me parvenaient que parcimonieusement. Ignorant ses dires je poursuivis.


- Je ne sais pas vraiment par où commencer. Je sais que je te dois quelques explications sur ce qui s’est passé. Et je te les vais donner. Mais plus que pour te parler, je suis de retour pour d’autres raisons. Tout d’abord te restituer ton fauteuil qui te rendra ta dignité dès que tu auras pris place dessus à la manière d’un roi s’asseyant sur son trône. Ensuite, mes amis ici présents ont le besoin de t’entretenir. Seul toi est à même d’entendre leurs confessions. Enfin, lorsque nous aurons accomplis le pourquoi de notre venue et uniquement si tu l’acceptes nous resterons dormir et demain nous repartirons. Eux et moi car ma place n’est plus auprès de toi mon père. A présent, aide moi à te soulever et gagne ton fauteuil. Fimevissipi s'il te plaît, veux tu prendre Nouille la grenouille dans tes bras.


- Coip tys. Emmib woipt Puyommi me hsipuyommi teyvi. Ej pup d’itv wsea, s’empressa de répondre Fimevissipi en se remémorant le handicap de Nouille.

- Merci mon ami. Allez Papa allons-y


Je refusai l’aide que me proposa Mac Humclyneure et réussie grâce aux ressources physiques que papa trouva en lui à le hisser sur son fauteuil roulant. Sa mécanique comme l’appelait Phamela. Je crachai dans mes mains et nettoyai sa figure sale. Puis je peignai sommairement ses cheveux. C’était comme déterrer un honneur bafoué, lui sortir un pied de la tombe. Cela fonctionna car il reprit parole avec cette fois ci l’assurance qui lui avait manqué précédemment.


- Ce fauteuil m’a manqué et toi aussi Carol-Anne. Je suis content de vous retrouver tous les deux. J’entends ce que tu dis sur ta volonté de ne pas t’éterniser ici et bien que j’aimerais te garder à mes côtés je suppose que ton choix est irréversible. Mais nous verrons cela en heure et en temps. Tu me dis que tes compagnons veulent s’entretenir avec moi. Je ne les connais pas aussi je doute que je puisse leur être d’un grand secours. S’ils sont là pour justifier ta fugue et ton larcin et bien qu’ils s’en abstiennent. Comme tu le vois je ne t’en suis pas rancunier et qu’importe les raisons qui t’ont poussées à agir ainsi elles appartiennent aujourd’hui au passé. Alors oublions.


- Non Père il ne s’agit aucunement de cela. S’il me faut fournir quelques explications sur les raisons qui ont dirigé mes actions alors je suis seule à même de vous les donner. En revanche ce dont mes amis souhaitent vous parler, peut-être m’avez vous mal entendu et en cela je vous excuse, l’une de vos oreilles était appuyée contre le sol, relève de la confession et non pas de la discussion cordiale. Pour clarifier la chose je vais vous expliquer les événements qui ont provoqué mon départ et mon retour.


- Effectivement toute cette histoire m’est bien trouble me confirma mon Père.


- Car les détails ne servent à rien, j’emprunterai de nombreux raccourcis afin de préserver au mieux vos capacités d’écoute qui se devront d’être élevées lorsque mes compagnons prendront la parole. Cette règle ainsi posée je commence. Un jour un cri heurta mes oreilles. C’était un cri de détresse auquel je ne pouvais rester insensible. Ce garçon, ici, qui porte la grenouille était alors bien mal en point. Il ne faisait pas cette taille le jour où je l’ai découvert. C’était encore un nourrisson. Il était enfoui telle une plante en terre et était constamment la victime d’attaques d’animaux divers. Je le sauvai comme je pus. Ma force physique s’avéra être ma faiblesse. Elle était par trop insuffisante. Je n’arrivai pas à porter cet enfant qui criait à l’aide. Dans l’urgence, je pensai alors à ce fauteuil roulant et profitant de votre sommeil je l’empruntai. Crois moi jamais je n’ai voulu te causer du tort. Ainsi grâce à ton fauteuil je sauvai Fimevissipi. C’est comme cela que je le baptisai. Tout cela me ramène loin en arrière car depuis comme tu t’en rends compte cet enfant est devenu un grand garçon. Oh oui, son développement est accéléré mais quand même, bien des jours se sont éteints depuis que lui et moi nous sommes trouvés. Demain je repartirai avec Fimevissipi. Il est avide de connaître le monde et je dois l’y aider. Aujourd’hui il se déplace avec beaucoup plus d’aisance que lors de sa sortie de terre. Pour cette raison le fauteuil lui est inutile. Voilà pourquoi nous avons décidé de te le rendre. Et c’est sur la route qui nous menait ici que se joignirent à nous les trois personnes que voilà. Je crois que c’est le destin qui les y a placé. Il y eut tout d’abord M. Mac Humclyneure qui nous aborda sur le parking d’un supermarché. Son histoire nous toucha et lorsque je lui expliquai qui tu étais réellement, papa, il emboîta notre pas. Puis en traversant le parc communal nous rencontrâmes Renifl’Or, notre ami le chien que voici. Lui aussi nous bouleversa avec l’histoire de sa vie. Je lui révélai alors ton identité, papa, et bien qu’au début il demeura perplexe Renifl’Or quitta finalement son parc duquel il n’était pas sorti depuis bien longtemps pour faire route avec nous. Enfin, notre marche nous conduisit dans les quartiers pavillonnaires de la ville, tu sais au bord de l’étang. Là c’est Nouille la grenouille qui intégra notre groupe. Lorsque nous la trouvâmes elle venait de subir une terrible agression qui la privait de ses cuisses. Ainsi elle est semblable à toi, dépourvue de ses pattes. Tu devrais bien t’entendre avec, elle, elle est si sympathique. Tout au long de sa vie Nouille la grenouille a accumulé les péripéties malheureuses et ton écoute lui sera d’un incroyable réconfort. A tous je leur ai avoué que tu étais mon Père, leur Père, Notre Père. Peut-être n’aurais-je pas dû le faire mais face à leur détresse je n'ai su dissimuler cette vérité. Et je crois que tu les as placé sur mon chemin pour que j’agisse de la sorte. N’est-ce pas ?

Papa me regarda longuement avec circonspection. Il inspira une grande bouffée d’air puis me la souffla au visage. L’haleine méphitique enveloppa mon visage et pour la seconde fois je me réjouis de mon abstinence nutritionnelle.


- Alors c’est pour eux que tu nous as quittés. Un marginal qui se ballade avec un aspirateur sur le dos, un chien égaré qui colporte je ne sais quelle maladie, une grenouille au bord de la mort et le meilleur pour la fin, un mongolien que tu as fait pousser dans la terre. Je ne suis pas bien sûr de comprendre ce que tu leur a raconté à mon propos mais nous aurons notre discussion plus tard. En attendant, tu me dis qu’ils veulent se confesser alors je ne vais pas les en empêcher. Mais car cet aveu est secret je vous demande à toi et Phame de gagner l’étage. Ce qui se dira ici bas n’est plus de ton ressort ma fille. Il ne concerne plus que moi et, comment les nommes tu déjà, Mac Humclyneure, Fimevissipi, Renifl’Or et Nouille la grenouille. Allez, filez.







... to be continued

la suite sera en ligne mercredi 5 septembre

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