lundi 20 août 2007

Partie 2 - Chapitre 12 - Trois rencontres

.
.
.



C'en était assez. Le jeu avait ses limites et nous les avions allègrement dépassées. Il était temps de se mêler à la foule temps pour Fimevissipi de rencontrer du monde. Nous continuâmes ainsi notre chemin à la recherche de la maison de Dieu le père. Nous avancions à un rythme lent tel des vagabonds. On dévala la ville errant aux travers des zones industrielles et artères commerçantes. Il y régnait une agitation excessive, c'était un jour comme un autre et nous nous observions en silence. Les gens rêvaient de facilités de paiement et de découverts autorisés. Un jeton de caddie dans la main gauche, une carte d'ident... euh... de fidélité dans la droite ils étaient bien équipés. Et derrière des guichets sans charme les attendaient des conseillers aux ambitions voraces. Dans le rayon confiserie d'un supermarché aux lumières agressives je chipai un paquet de bonbons aux fruits. Ce n’était certainement pas la chose à faire mais nous avions faim et pas d’argent. Je le glissai avec un maximum de décontraction entre le dos de Fimevissipi et le dossier de son fauteuil et nous prîmes la direction « sortie sans achat ». Les gardes ne nous remarquèrent pas, tout occupés qu’ils étaient à faire grésiller leurs talkies-walkies. Cependant, arrivés sur le parking réservé à la clientèle sous peine de poursuite, un inconnu nous interpella.


  • Hep vous deux, où allez vous ?


L'homme n’avait pas grand chose à voir avec un vigile. Il portait un drôle d’aspirateur sur son dos. Sa démarche faite de petits pas saccadés lui conférait un manque évident de confiance en lui. Son regard avec ses deux gros yeux qui roulaient tels des billes laissait croire à un amusant illuminé. C’est peut-être pour cela que je lui répondis du tac au tac et sans crainte.


  • Nous allons chez celui qui est mon père afin de lui rapporter son fauteuil roulant.

  • Et que tenez vous à la main mademoiselle ?


Malgré son manque apparent d’assurance ses questions directes ne me facilitaient pas la répartie. En proie au doute je lui dérapai une réponse.


  • Euh….ça…c’est un paquet de bonbons…..s’il vous plaît Monsieur…on voulait pas….mais…..comprenez nous on n’a pas d’argent pour se l’acheter….

  • Ça ne m’intéresse pas. Que comptez vous faire des papiers qui enveloppent vos bonbons ?


Je ne comprenais pas ce que nous voulait cet individu.


  • et bien Monsieur, c’est promis, nous allons les jeter à la poubelle.

  • Non s’il vous plaît mademoiselle, s’il vous plaît, ne le faîtes pas donnez les moi plutôt.

  • Vous les donner ? si vous les voulez pourquoi pas mais ne préférez vous pas un bonbon d’abord. Ils ont l’air délicieux.

  • Non je n’aime pas les friandises. Uniquement l’emballage.

  • Comme vous voulez mais je ne vous les peux tous donner maintenant. Je vais les manger sur la route.

  • Dans ce cas, je vous accompagne.

  • Euh…c’est comme vous voulez Monsieur, mais je ne sais pas si c’est votre route. Oh et puis zut , si vous y tenez venez mais alors présentez vous tout d’abord !

  • Oh bien sûr excusez moi Mademoiselle, je me nomme Mac Humclyneure. Quant à moi à qui ai-je l’honneur ?

  • Je suis Carol-Anne et mon ami ici assis se nomme Fimevissipi.

  • Et bien Marchons ensemble et pour distraire vos idées je vous raconterai mon histoire... mais n'oubliez pas les papiers de vos bonbons, je les collectionne.


Voilà nous étions dorénavant un trio et nous quittâmes le parking du supermarché en direction de ma maison. Monsieur Humquelquechose semblait bizarre mais pas méchant. Plutôt un farfelu. Je voulais bien qu’il fasse un p’tit bout de chemin avec nous. Après tout il y avait si longtemps que je n’avais parlé à quelqu’un. Et puis il avait raison entendre son histoire me changerait certainement les idées.


  • Et bien comme je viens de vous le dire je m’appelle Mac Humclyneure. Ma vie était parfaitement réglée jusqu'à ce qu'Il (Mac Humclyneure désigna d'un geste discret l'appareil qu'il portait sur son dos) s’immisce dans ma vie. Je travaillais honnêtement et gagnais ma vie de la même manière. Mon employeur, respectueux du droit du travail, me consentait 5 semaines de repos par an ce qui était amplement suffisant. J’aimais mon travail et dès que je m’en éloignais trop je générais une inconcevable angoisse qui m’obligeait à y retourner illico presto. Et c’est au cours d’une de ces semaine de repos forcé qu’Il (il désigna à nouveau l'appareil) se manifesta à ma personne. Je m'apprêtais à partir en vacances. J’avais au préalable réservé une semaine tout compris dans un club. Avant le grand départ j'eus à coeur de passer un petit coup de balai afin de retrouver un logement propre à mon retour. Mais la veille du décollage, l’évidence se montra. Mon logement était infecté et imprégné par la crasse. Une couche si énorme que je peinais à distinguer mes meubles. Je me résolus donc à tout nettoyer pendant la nuit. Bien entendu mes bagages n’étaient pas prêts. A bloc pendant de longs tours d’horloges je dépoussiérai mon home sweet home avec ardeur. Le jour allait bientôt pointer le bout de son nez, signe qu’il était grand temps pour moi de faire mes valises.


  • Tenez, si vous le voulez prenez le, lui proposais-je en lui tendant mon papier froissé de ma sucrerie.


  • Merci beaucoup Carol-Anne, je le range de suite dans ma poche intérieure. Donc, je reprends, sur mon lit étaient disposés mes effets personnels nécessaires à mon séjour. Vêtements, trousse de toilette et de premiers secours etc.…Et c’est à ce moment que le signe divin eut lieu. L’aspirateur que j’avais soigneusement débranché de la prise murale entra dans une sorte de transe démoniaque proche du 100 décibels, niveau bien supérieur au niveau sonore indicatif communiqué par le fabricant. Et son suceur plat et long ouvrit sa gueule et avala sans distinguo effectuer poussières et biens non destinés à son ventre. Le tube de métal télescopique ne grogna à aucun moment se contentant de conduire mes habits d’été au plus profond du sac collecteur. Ainsi en quelques secondes mon aspirateur et je suis formel il était débranché, donc hors d’état de fonctionner sans intervention divine, dévora ma garde robe de vacances. Hop le ménage était fait conclut-il et Il replongea en mode veille. Pendant un instant prolongé, debout, je demeurai bête, incapable de saisir ce qui venait de se produire. Je descendis finalement à la cuisine et me préparai un café violemment noir. Je l’avalai d’une traite, méditai ensuite sur cette inquiétante hallucination et remontai à la chambre persuadé que tout serait rentré dans l’ordre. Je ne suis pas un drogué, je ne l’ai jamais été, ces phénomènes ne peuvent donc me concerner. Et pourtant, à l’étage rien n’avait changé. Le calme régnait à présent mais mon sac de voyage était désespérément vide tandis que celui de mon aspirateur devait être au bord de l’implosion. La vision de l’avion prenant son envol sans moi vint tamponner mon esprit. Il me fallait réagir l'heure tournait. Ce sac d'aspirateur ferait l'affaire. En fait ce n’était pas si mal. Mon sac, même s'il n’était pas initialement prévu au voyage était fin prêt. Et puis, cet appareil était déjà pourvu de sangle. Le constructeur, soucieux de la bonne santé dorsale des ménagères l’avait ainsi équipé. Oh bien sûr, comme tu peux le remarquer Carol-Anne et toi aussi Fimevissipi, puisque c’est cet aspirateur que je transporte, elles sont quelques peu rudimentaires ces sangles et probablement pas étudiées pour les étapes de grandes randonnées mais à cet instant tardif de la nuit ce jour là je ne pensai pas à ce détail et estimai que cela ferait l’affaire. Je l’attrapai donc et m’éclipsai de la maison direction l’aéroport. Il me fallait courir et courir vite. L’aéroport ce n’était pas la porte à côté et je n’avais pas budgétisé un trajet en taxi. Et tandis que je me hâtai, un étrange remord vint me transpercer. L’impression d’avoir mal agi en ayant abandonné mon sac de voyage qui depuis des semaines attendait avec une vive impatience ces vacances. J’essayai, malgré cette souffrance pré-embarquement, de poursuivre ma course mais il m’était impossible d’extraire ce satané sac de mon esprit. Coupable d’abandon de bagage, telle était ma faute. Et bien que c’était Son intervention, oui c’est de Dieu que je parle, qui m’avait plongé dans cette histoire, je savais qu’aux yeux de mon sac, le seul responsable c’était moi. Il m’appartenait donc à moi et à moi seul d’en assumer les conséquences. Jamais, aussi loin que ma mémoire remonte et au moins jusque à la date d’acquisition dudit sac je ne lui avais joué un aussi vilain tour. Oh bien sûr tout n’avait pas été toujours rose entre lui et moi. Il y eut entre autre cette période longues de quelques années pendant lesquelles je le gardai enfermé dans le bas de mon armoire, faute de pouvoir me payer des vacances. Je m’en souviens encore, il était convaincu que je lui faisais la gueule, il n’en était rien et d’ailleurs, c’était plutôt mon portefeuille qui me la faisait, la gueule, et évidemment cela se répercutait sur tout le monde. Mais bon, à l’annonce de ces vacances, les vieux coups tordus du passés s’étaient effacés. Et ce départ en urgence, aspirateur vissé sur les épaules, c’était comme enfoncer un clou rouillé sur une plaie mal refermée. Je réagis alors. Tout se bousculait dans ma tête. Et tandis que le rythme de ma course commencée sprint flirtait à présent avec le style jogging de grand-mère un objet publicitaire heurta mon visage. Un simple tract publicitaire qui s’essayait au vol le long des trottoir m’apporta la solution. Ce papier volant avait peut-être un court instant porté un message commercial positif à l’intention d’un passant lambda mais à présent puisqu'il se baladait sans réelle destination dans les airs, il était devenu détritus et en conséquence destiné à la poubelle. Voilà ce qui s’était passé sous mon toit : mon sac de voyage et mon aspirateur avaient obéi à la volonté du Supérieur et avait inversé leurs rôles et fonctions respectives. Cette évidence me frappa telle une teq' paf le comptoir du troquet. Le bagage faisait à présent office de ramasse poussière. Mes vacances étaient annulées, j'avais une mission. Il me fallait honorer cette découverte par de précieux déchets et autres restes. Depuis ce jour où la vérité m'éclata au visage, je poursuis cette quête vers de nouveaux déchets. J’aborde des inconnus dans les rues et leur réclame ces petites choses qu’ils déposeront sans mon intervention dans une poubelle pour les plus civilisés et à même le sol pour les plus crasseux. Oui c’est ce que je suis. Un mendiant. Je mendie vos ordures. Ma journée de quémandeur achevée je rapporte et offre à mon sac la récolte quotidienne. C’est ma vie et c’est elle, où devrais-je dire, c’est Lui le tout-puissant, qui l’a choisie.


C’est de la sorte qu’il acheva son récit. Je l’avais écouté respectueusement et son histoire me touchait. Fimevissipi semblait lui aussi sensible à la vie de ce vagabond pas comme les autres.


  • Et bien, commençais-je sans trop savoir ce que je voulais lui dire, je crois que notre rencontre n’est alors pas due au hasard. C’est, vous allez le voir, un nouveau signe de Sa présence.

  • Comment cela ? répliqua l’homme à l’aspirateur visiblement intrigué

  • Et bien figurez-vous que je me rends avec Fimevissipi chez mon père, qui n’est autre que Dieu.

  • Ah effectivement c’est là une chose fort intéressante. Permettez dans ce cas que je vous accompagne. J’ai tant à voir avec votre père…avec Notre Père.

  • Alors poursuivons. Cependant avant de reprendre notre marche, une petite question. Si j’ai bien compris votre aspirateur renferme une partie de votre garde robe ?

  • C’est cela oui.

  • Et bien voyez vous mon ami Fimevissipi est fort peu vêtu alors peut-être pouvez vous le dépanner de quelques vêtements.

  • Oh certainement. C’est à parier qu’ils sentent un peu le renfermé et qu’ils soient légèrement poussiéreux, mais si cela peu vous être utile, c’est avec grand plaisir.

  • Nisdo cieyduyq remercia Fimevissipi

  • Voyez comment je fais. Il suffit d’appuyer à l’envers sur ce bouton et au lieu d’aspirer, l’appareil dégurgite ce qu’il à avaler. Et voilà tenez, une chemisette, oui je le vois elle est froissée mais au moins elle vous protégera du vent. Et hop voici de quoi couvrir Guy et Bol vos guiboles.


L’habillage effectué, nous reprîmes la direction de la maison. Nous formions déjà une chouette équipée lorsque l’entrée du parc municipal se précipita sous nos pas. Des étendues vertes, des grands arbres où s’abriter lors des journées de grand soleil, quelques bancs qui longeaient les allées calmes et par ci par là des étangs entretenus au bord desquels canards et oies venaient se prélasser. Un symbole de paix dans une ville animée par la rage. Et puis après quelques bifurcations vint le ghetto du parc la zone de non-droit. Dans cette zone venaient survivre, dormir et parfois mourir les indigents clochards. Au pied des bancs reposaient de récents cadavres de bouteilles. Vins et bières connaissaient un vif succès. Un chien abandonné attira mon regard et celui de mes compagnons. Allongé sous un banc, ma première impression fut qu’il était décédé. Il était inerte et extrêmement sale. Une odeur nauséabonde s’en élevait. Pourtant, nous nous en approchâmes afin de vérifier son état de santé. Et alors que nous étions à moins d’un mètre de cet animal qui ne ressemblait à rien il se réveilla. Dans un geste d’autodéfense il bondit brusquement et renversa Fimevissipi. Il manqua de lui arracher la moitié de la joue mais heureusement Mac Humclyneure, l’homme à l’aspirateur, lui décocha un coup surpuissant qui envoya balader l'animal dans ses cordes. Tout se passa très vite, Fimevissipi eut à peine le temps d’articuler un cri.


  • ça va pas de sauter comme ça sur les gens, saleté de cabot hurlais-je.

  • Quoi ? et vous qu’avez vous à venir rôder autour de moi ? Vous venez me dépouiller et vous croyez que je vais vous laisser faire ? aboya le chien.

  • Mais, Monsieur Chien, reprit l’homme à l’aspirateur, comprenez que nous ne venons pas en ennemi, nous avons craint pour votre santé et sommes intervenu pour vous aider. Jamais mon pied ne vous aurait frapper si vous n’aviez pas agressé notre ami.

  • Alors ok , supposons que vous ne fassiez que passer. Vous pouvez donc continuer votre route car comme vous pouvez le constater je me porte à merveille. Allez cassez-vous, hop on dégage...


Je ripostai bien que ce chien méritait vraiment qu’on l’abandonne ici.


  • Moi quand je vous vois, je ne dirais pas que vous êtes bien portant. Au contraire vous m’avez l’air faible et affamé. Un toilettage vous ferait le plus grand bien. Un peu d’exercice aussi. J’ai comme dans l’idée que vous passez l’essentiel de vos journées vautré sous ce banc et ne vous déplacé que lorsque votre estomac vous supplie de le remplir.

  • Mais de quoi je me mêle petite sotte. Qui es-tu pour me donner de telles leçons ?

  • Et bien comme je suis la fille de Dieu, je vous propose de nous suivre jusque chez mon père. Si vous préférez vous pouvez marcher 10 pas derrière nous. Arrivé à la maison vous pourrez reprendre quelques forces et même vous décrasser. En revanche si vous nous suivez j’insiste pour que vous nous promettiez de vous ressaisir et de ne plus être ce chien errant pitoyable. Alors c’est ok ?

  • Cassez vous je vous ai déjà dit. Il mit ainsi terme à la discussion.


Nous n’avions pas l’intention de le supplier, alors nous repartîmes. Et quand je me détournai au moment où nous approchions de la sortie du parc pour réintégrer l’univers effervescent je le vis. Il était là, derrière nous, nous suivant à quelques dizaines de mètres. Finalement ma proposition avait fait son travail et son petit bout de chemin. Voilà le chien qui intégrait notre bande. Nous étions à présent quatre. La bande se composait de moi Carol-Anne, de mon protégé, Fimevissipi, de l’homme à l’aspirateur Mac Humclyneure et du chien errant. Au fur à mesure de notre progression l’écart qui nous séparait du chien diminua pour bientôt ne plus exister. C’est à peu près en cet instant que le chien errant choisit de nous conter sa vie.


- Moi, je les ai souvent entendu se plaindre au boulot. Mes collègues bipèdes. Ah ça oui ils balançaient sur le système. Pour résumé la situation voilà la devinette qui circulait dans les vestiaires du poste: « Je suis moins bien payé qu’un ouvrier du textile sri lankais, je risque ma peau comme un kamikaze d’al qaïda et enfin l’on me haït plus qu’un juif pendant la grande guerre. Qui suis-je ? »


Moi, Fimevissipi, l’homme à l’aspirateur dans une même allocution blanche :


  • ……


- Un flic. Voilà c’est ça la réponse. Elle nous faisait bien marrer cette blague c’est sûr, malheureusement faut dire qu’hormis ça on rigolait pas des masses. C’était même plutôt la misère. La plupart des flics estiment avoir une « vie de chien », mais croyez moi ils n’ont aucune idée de ce que c’est vraiment qu’une existence de cabot. Et moi qui taffais comme flic j’étais bien placé pour le dire….surtout que j’étais, et le suis encore, un clebs. Mais ça vous l’avez probablement déjà remarqué. Pour sûr j’aurais préféré ne jamais en être un. Un flic j’veux dire hein pas un chien. Mais je n’avais jamais eu le choix. Le destin m’a déposé dans une famille de renifleur. Le top du flair. Depuis des générations, nous étions doté d’un don divin pour renifler la came. Et croyez moi d’aussi loin que remonte mon arbre généalogique, de ce don, nous en étions tous pourvu, moi y compris. En fait j’étais né flic. Dès ma prime enfance ils m’entraînèrent à développer mon don. L’apprentissage était rigoureux, il me fallait assimiler toutes les formes de drogues existantes et les manières toutes plus vicieuses les unes que les autres de les dissimuler. Je lus les carnets de notes de mes ascendants. Passionnants, riches de détails, ils s’avérèrent de véritables études comportementales du dealer. Sa psychologie y était passée au peigne fin toute comme sa gestuelle trahissante. Car peut être cela va-t-il vous surprendre mais et c’est ce qui fait la grandeur de notre métier, un grand chien renifleur doit sentir avec son museau mais surtout avec ses yeux. Ainsi même enrhumé je ne m’arrêtais pas. Tout ment chez un refourgueur de came. Par ses mouvements de corps, parfois incertains parfois trop calculés, par ses réflexions innocentes, sans le savoir, il s’accuse lui même. Les écrits de mon père, de mon grand père et des autres avaient fait de moi le meilleur chien de toute la région peut être même du pays. Les hommes m’avaient même baptisé Renifl’Or. C’est à ce nom que je devais répondre. Pendant des années j’exerçais ainsi mon job sans rien dire. Disponible 24h/24 je débarquais accompagné de la brigade anti-drogue dans des lieux obscures à la recherche du magot tant convoité. Et toujours je faisais mon travail à merveille. Je découvrais des quantités de drogue représentant des sommes monstrueuses au marché noir et l’on me récompensait d’un copieux repas. Un peu déséquilibré n’est-ce pas ? Je n’y trouvais rien à redire pour autant. Après tout j’étais célèbre et par rapport à mes congénères j'avais une vie de luxe. Je n’étais pas qu’un porte-chausson, j’œuvrais pour l’intérêt collectif et c’était une grande cause. Les années s’écoulèrent et pas la drogue. Ma vie professionnelle était un succès à la hauteur de ma réussite sentimentale. Je rencontrai une chienne pour qui je m’épris d’un amour tendre et qui me donna deux magnifiques enfants. Tout allait merveilleusement bien, notre demeure était modeste mais notre amour grand. Et puis un grain de sable vint tout enrayer. J’allais sur mes sept ans lorsque une part de vérité qui jusque là m’avait été dissimulée me fit comme un clin d’œil du genre « oh oh j’existe ». Ce qui l’avait incité à se manifester ? Je sais pas, la routine du quotidien, l’ennui, l’absence de sens où la présence de non-sens, un besoin de sensation, d’excitation, une recherche de plaisir c’est probablement un petit peu de tout cela à la fois. Chez vous on appelle cela la crise de la quarantaine mais chez nous ce n’est pas répertorié. Le mal être du chien n’est pas prit en charge par le vétérinaire, c’est bien dommage. Alors la vie continua, mais mon enthousiasme était pulvérisé. Et puis un jour je commis l’irréparable. Ce mec là était surveillé depuis des mois par la brigade. Écoute, filature, une équipe à temps complet bossait sur ses activités suspectes. Les collègues furent informés qu’une énorme transaction se préparait. Elle impliquait de célèbres notables des environs. C’était un gros coup, les meilleurs hommes de la brigade formait le team et bien sur le meilleur chien était partie prenante. Si tout fonctionnait alors c’était la gloire assurée pour la police et à l’inverse si cela virait en eau de boudin on imaginait déjà la dissolution de l’équipe. Nous étions tous sur le qui-vive prêt à bondir dès qu’on nous en donnerait l’ordre. L’échange devait se dérouler dans une vieille maison abandonnée à la campagne. Jamais cette ruine n’avait suscité autant d’intérêt, son heure de gloire en quelque sorte. Le jour J arriva et les hommes débarquèrent. Les truands crièrent aux scandales mais furent rapidement mit aux arrêts et escortés vers la prison. Et c’est là le début de ma mission. Ma truffe, flirtant avec la terre battue du sol, passa à l’action reniflant chaque cm² de la demeure. Je tournais, revenais sur mes pas sous l’œil exigeant des gars. Et puis je relevai la gueule et leur jetai un regard désabusé. Il n’y avait pas de drogue dans ces lieux. Du moins c’est ce que je leur fit comprendre. On regagna le poste dépités et groggys par l’énorme baffe que représentait cet échec. J’avais la confiance du groupe aussi personne ne mit en doute mon odorat. Pourtant…


Renifl’Or effectua une pause pour reprendre son souffle. Nous avions naturellement interrompue notre marche comme pour accorder à son histoire l’attention qu’elle méritait. Très intriguée par ce chien policier, Fimevissipi dégaina le premier :


  • Quysvepv ryou ?

  • Oui c’est vrai, quoi ? vous avez menti, c’est ça ? il y avait de la drogue ? j’avais envie de connaître la fin de son récit.


L’homme à l’aspirateur ne posa aucune question, il semblait légèrement distant, occupé qu’il était à effacer les plis des papiers froissés que régulièrement je lui donnais.


- Oh oui il y avait de la drogue dans cette vielle bicoque. Il y en avait même plein. De retour au commissariat, la garde à vue des dealers avorta rapidement. Aucune charge ne pouvait être retenue, ils furent donc libérés. Les gars passèrent le reste de la nuit à se saouler. Il y avait toujours une bouteille de Ricard qui traînait, à peine dissimulée, dans un bureau. Dans des jours comme celui-ci seul l’alcool pouvait estomper la terrible déconvenue. Moi je ne buvais pas. Je regagnai donc comme chaque soir mon domicile. Comme chaque soir j’embrassai ma femme puis mes deux enfants. Comme chaque soir je me montrai souriant et évitai de parler des histoires de boulot. Comme chaque soir l’on mangea tous ensemble. Et comme soir, peu avant le coucher je m’en allai promener notre animal de compagnie. Sauf que la ballade fut plus longue qu’à l'accoutumée. J’enfermai notre animal de compagnie au garage et décampai à toute berzingue. La campagne. Une vielle maison. Je voulais cette drogue. Je l’avais tout de suite repérée. Enterrée dans le sol à environ 30 centimètres, il n’y avait rien pour masquer l’odeur de la poudre blanche. Un cas d’école, déconcertant de facilité et même le nez bouché. Tout excité je creusai le sol pour récupérer le précieux pactole puis m’éclipsai avec la même fougue qui m’avait fait venir. Chez moi je camouflais mon trésor et retrouvai ma chienne déjà endormie. Les jours qui suivirent furent déroutant de banalité. Maintenant qu’elle m’appartenait je me montrai incapable d’y goûter. Et puis après environ une semaine je me résignai à la tester. Modérément cela va sans dire. Tu parles ouais ! Bordel, je trouvai ça magnifique. Dès mon premier test je fus conquis. Je prétendais connaître la drogue, je la côtoyais au quotidien et j’ignorais totalement ses bienfaits. Oui, on pouvait parler de Renaissance. Enfin je découvrais la vie sous un angle différent de celui de la contrainte. Chaque sniff m’apportait toujours un peu plus que le précédent. Un monde totalement insoupçonné s’éveillait à mes yeux. De moins en moins de temps s’écoulait entre mes prises. Je n’avais pas choisi d’être chien policier je voulais me transformer en toxicomane dépendant. Et à ce beau défi j’y mettais toute mon âme. Mon museau était ma richesse et une fois de plus il me surprenait. Cette came quand elle lui filait dans la narine, il la gouttait, au sens propre du terme, comme s’il était empli de papilles gustatives. Un don, oh oui y’a pas à tergiverser, ce nez était un don du Dieu. Cette expérience devint bientôt un mode de vie à part entière, une vie réglée sur mes prises. Mais chaque bonheur à son revers et pour moi ce fut la fin de ma carrière. Bien entendu, toute la brigade s’aperçut de mon changement. Et les prises de sang du véto dévoilèrent la vérité. Il l’annonça avec tact à mon chef de brigade : « A la manière d’un Pikachu qui évolue en Raichu, Renifl’Or mute en Toxico Dog et l’on ne peut rien y faire ». Mais la délicatesse était de trop dans ce monde. La sanction ne s’encombra pas d’égards. Le chef me passa un savon à défaut d’une savonnette et termina par la réplique attendue « Vous êtes viré, allez ouste ». Je déposai mon badge et mon arme sur son bureau et quittai les lieux tel un malpropre. Après des années de bons et loyaux services l’on m’offrait le luxe de la précarité et de l’incertitude. Si à votre espèce j’avais appartenue, nul doute que l’on m’aurait assigné à un job administratif mais pour un chien there is no justice. Vous avez les prud’hommes nous n’avons pas de prudes chiens. Ensuite tout s’enchaîna. Moi qui avait toujours été montré comme un modèle je n’osai affronter le regard médusé de mes proches. Et depuis mon licenciement je n’ai revu ni ma femme ni mes enfants. Un bref retour à la maison pour récupérer la came et hop je disparus en un éclair. Je l’avais entendu dans un film avec Bob « il faut savoir tout plaquer en moins de 30 secondes ». Et c’est comme ça que je procédai. Depuis ce jour je me suis établi dans le parc où vous m’avez trouvé. Je vis pleinement ma passion de la défonce outrancière. Bien sûr j’ai perdu les êtres qui me sont chers, mon confort matériel, la reconnaissance des hommes, mais que dire j’Adore me shooter. J’ai honte de n’avoir découvert cette jouissance qu’à la veille de mes sept ans. Je tente de survivre mais j’ai honte. Honte d’avoir participer aux actions policières visant à éradiquer ce bonheur fait poudre de la surface de la nation. Honte d’avoir privé des milliers de consommateurs de leur réconfort nécessaire. Mais bon, ce passé de flic est dorénavant bien loin. Je vis dans mon parc, j’emmerde personne, je me came quand le manque me fait signe et je ne fais rien d’autre. Si je devais modifier quelque chose à mon existence alors oui je vous le dis je me priverais de ce don olfactif. Quelle idée stupide de Dieu. Je lui en veux à mort.



Décidément cette journée était étrange. A croire que tout le monde avait quelque chose à réclamer à Dieu.



- Et bien vois tu Renifl’Or, comme je te l’ai dit tout à l’heure il se trouve que je suis sa fille. Alors si tu as des comptes à régler avec Lui dépêchons d’aller chez moi car on à tous besoin de lui causer. Moi et Fimevissipi on doit lui rapporter son fauteuil roulant tandis que M. Mac Humclyneure ici présent veut s’entretenir avec mon Père à propos d’un problème de sac. Alors je pense qu’Il sera également en mesure de t’accorder quelques unes de ses précieuses minutes.


- Ok alors cessons de parler et marchons en rythme, proposa Renifl’Or. La journée est déjà bien avancée et le programme encore chargé. J’espère que nous ne sommes pas trop loin de chez toi.



C’est vrai que l’essentiel du trajet était maintenant accompli. Pour autant nous n’en avions pas encore fini avec nos étonnantes rencontres. Conformément à ce que venait de nous signifier Renifl’Or nous reprîmes la route à vive allure. Définitivement ce n’était plus une promenade De ses pas imprécis et encore lents, Fimevissipi suivait tant bien que mal. Je me demandais quel effet produirait l’arrivée de notre petite troupe à la maison. Ce n’était pas gagné que cela se passe bien mais avais-je le choix ? J’avais fugué et volé l’unique moyen de locomotion de Dieu. J’espérais son Pardon mais pouvais-je éviter sa colère. Je ne voulais pas en parler avec Mac Humclyneure et Renifl’Or. Nos deux nouveaux compagnons étaient si impatients de rencontrer Dieu que faire état de mes craintes risquait de gâcher leurs plaisirs. Alors je fis comme eux. Eux, ils affichaient ouvertement leur joie. Sourire sincère sur leurs visages, alors sourire forcé sur le mien. Chacun mettait en scène le discours qu’il tiendrait lorsque face à Notre Père il s'agenouillerait. Nous avions traversé la ville et étions à présent dans les quartiers résidentiels. Il y avait dans ce quartiers un étang calme où les gosses des riches venaient s’aérer. C’est marrant mais en le longeant j’eus cette sensation venue de nulle part caresser ma peau que notre bande des quatre allait instamment devenir le club des cinq. Un cri s’érigea puis un homme. Cet homme, ce monstre devrais-je dire, était taillé comme un boeuf taillé comme un buffle taillé comme un mammouth. Quand ses jambes vinrent poly-frapper le sol ce fut comme si un troupeau entier d’orcs se déplaçait. Cette chose, cette immondice affreuse et répugnante, détala sous nos yeux sans que l’on y puisse rien comprendre. En revanche, le cri qui provenait des bords de l’étang lui ne détala pas. Bien au contraire il s’intensifia. Poursuivre l’agresseur pour se faire réduire en bouillie n’aurait servi à rien, il importait plus de venir en aide au blessé qui hurlait. On chercha un peu mais il n’y avait personne près de l’étang. On regarda en ouvrant les yeux au mieux et puis l’on ne vit personne. Alors on écouta et on entendit. Quelqu’un souffrait mais on ne le voyait pas. Heureusement il y avait parmi nous un ex-flic qui plus est pourvu d’un sens olfactif surdéveloppé. Renifl’Or reprit ses vieilles habitudes laissées au placard depuis des mois et son flair ne tarda pas à faire mouche. En quelques secondes il mit la main sur la victime de l’ogre déserteur. A même le sol une petite grenouille se tordait de douleur et criait au martyr. Elle pataugeait dans son propre sang incapable de s’en extraire. A bien la considérer ce n’était plus qu’une demie-grenouille. Ses cuisses avaient été arrachées. Seuls quelques nerfs déchiquetés et tendons mâchés témoignaient de l’existence passée des jambons batraciens. La mutilation était récente mais trop de sang avait déjà coulé. Après l’avoir flairé de longs instants, Renifl’Or qui n’était pas médecin se retourna et concéda « on va la perdre si on agit pas tout de suite ». Il sortit ensuite du cercle que nous venions de former autour du petit corps meurtri sachant parfaitement que son rôle s’arrêtait à la découverte de la victime. Il avait son job et quelque part, même si ce n’était ni le lieu ni le moment, il n’en était pas peu fier. « Laissez moi faire ! » vociféra alors Mac Humclyneure. A cet ordre, nous le laissâmes s’avancer lui et son équipement ménager. Et hop comme lorsqu’il avait prêté quelques fringues à Fimevissipi, il pressa à l’envers le bouton on/off de son aspirateur et celui ci séance tenante expectora une trousse de premiers secours. Dans la foulée il se pencha sur le blessé pour l’opérer et réclama notre mansuétude : « Soyez indulgent envers cet étui de dernière chance, c’est son premier jour de travail ». Sa pochette Hansaplast qu’il trimballait sur son dos depuis sa mésaventure trouvait enfin un peu de légitimité Il opéra. Ses mouvements un peu empruntés étaient compensés par son application totale. Il appliqua tout d’abord une compresse afin de stopper l’hémorragie. De sa main libre il maintenait avec fermeté la grenouille en place. Par la suite il fit ce qu’il jugea bon pour l’amphibien en détresse. La grenouille perdit connaissance lorsque Mac Humclyneure entama la désinfection des plaies. Faut dire que c’était pas beau à voir. Un mal nécessaire il paraît. Pour finir il s’arma de fil à recoudre et d'une aiguille et sutura les plaies. Rien à redire, Mac Humclyneure était un être de confiance. Si elle se réveillait de cette opération alors y a pas à dire la petite grenouille verte lui devrait beaucoup. Au début, je l’avais trouvé distant et intriguant avec sa manie de ramasser mes papiers mais là il venait de réaliser ce qu’aucun de nous n’aurait su accomplir. Nous lui en étions tous grandement reconnaissants. L’homme à l’aspirateur prenait des allures d’homme à aspiracoeur. Après cette poussée d’adrénaline l’on s’allongea afin de reprendre nos esprits. Le pouls de la grenouille battait à allure faible mais de manière régulière ce qui nous donnait bon espoir de la récupérer. Et effectivement après ces longs moments d’angoisse elle revint à elle. Effrayée par notre présence elle tenta tout d’abord de se soustraire à notre assemblée mais elle ne pouvait pas. La pauvre, deux des ses jambes avait été arrachées. Lorsqu’elle réalisa le malheur qui la frappait elle fondit en larme et c’était ce qu’elle avait de mieux à faire. Je me penchai sur elle et essayai de lui expliquer ce qui c’était passé, dans quel état nous l’avions trouvée et comment nous avions improvisé son sauvetage. Pour ne la pas plus troubler je ne parlai pas du boucher sanguinaire qui l’avait dévorée. Je ne sais si mes mots la rassurèrent toujours est-il qu’elle mit un terme à ses pleurs et releva la tête. Nous ne pouvions l’abandonner à son sort, Fimevissipi lui proposa donc de la prendre sur ses genoux afin qu’elle prenne part à notre périple. Personne ne sut vraiment si elle comprit un traître mot de ce qui venait de lui être proposé pourtant dans l’instant qui suivit, notre fauteuil roulant avait deux passagers. Et nous reprîmes notre route là où nous l’avions laissée. Confortablement installée sur une cuisse de Fimevissipi notre amie grenouille s’endormit à nouveau signe de sa sécurité retrouvée. Notre groupe était maintenant au complet, la confrérie était en route. Et en plus de moi, de Fimevissipi, de Mac Humclyneure l'homme à l'aspirateur et de Renifl'Or le chien devenu Toxico Dog il y avait à présent une petite grenouille lésée de ses cuisses et dont nous ne savions pas grand chose. Mais cela n’allait pas durer. A son réveil elle était changée. Plus de pleurs. En moins d’une heure elle venait d’accepter sa condition d’handicapée. Elle nous fixa intensément et un grand « merci » nous adressa. Je lui expliquai alors le but de notre expédition.



- Tu sais petite grenouille, nous nous rendons chez mon papa qui est aussi notre Père à tous non pas que nous sommes frères et sœurs mais tout simplement parce que ce père dont je te parle est celui qui crée et celui qui détruit. Il est Dieu. Chacun de nous souhaite le rencontrer pour une raison qui lui est personnelle. Quand l’on sera arrivé, toi aussi, peut être, tu voudras lui adresser des mots. Profite de cette marche qui nous mène à son pavillon pour mettre en place tes doléances car notre temps de parole sera probablement limité. Et si tu veux nous en entretenir au préalable alors parle nous, tes secrets demeureront à jamais dans les profondeurs de nos oreilles.



Quelques minutes plus tard sa voix percuta les huit tympans qui l’entouraient.



- L’étang au bord duquel vous m’avez trouvé est toute ma vie. J’y suis née il y a quelques années et sur son nénuphar central je suis restée. L’on ne ma pas attribué de prénom car nous autres les grenouilles n’avons pas d’identité propre. Nous nous reconnaissons les unes les autres sans avoir à se vêtir d’un quelconque patronyme. Nous n’avons jamais vraiment compris pourquoi vous autres vous vous sentez obligé de vous couvrir d’un prénom et d’un nom. Peut-être est-ce pour conforter votre sentiment d'être unique. Nous, nous avons conscience de notre non-unicité. Ainsi sur le nénuphar géant tout notre petit monde vaquait à ses occupations sans jamais s’appeler autrement que par « Hé toi »... Avec moi, un changement s’opéra. Car moi rapidement l’on me prénomma. Ce qui dans votre monde pourrait sembler plutôt valorisant prenait des airs de punition dans le mien. L’on me nomma Nouille la grenouille. Mes différences, mes défauts en quelque sorte, étaient bien trop importants. Aux yeux de tous il paraissait évident que je possédais un caractère unique et déplorable. Je n’avais de grenouille que la peau nue, la pupille horizontale et mon coassement. Mais en mon âme je n’étais pas un ranidé. Nouille la grenouille vous entendez ça! J’étais vraiment la créature la plus stupide que Dieu avait mise sur Terre. D’ailleurs le fond du problème était là. Ce Dieu ne m’avait pas mise sur Terre. Il m’avait déposé n’importe comment là où il avait trouvé un peu de place sur un nénuphar paumé au milieu d’une pauv’ mare. Et par dessus tout il m’avait fait hydrophobe. Un amphibien qui ne supporte pas l’eau... Vous trouvez cela impensable et bien l’impensable est sous vos yeux. Est-ce qu’il y eut un traumatisme dans mon enfance qui me l'a fait détester ? Maybe. Je ne m’en souviens plus. Du plus lointain que remonte mes souvenirs je l’ai toujours abhorrée. Et parce que ce comportement était différent c’est toute la population qui me rejeta. Je devins la risée de toutes les grenouilles qui ne m’adressaient la parole que pour mieux se rire de moi. Il va s’en dire que des amis j’en avais environ... aucun. Une grenouille abandonnée sur un nénuphar surpeuplé. Tout cela n’avait aucun sens, ma présence comme mon existence. Bien sûr je n’étais pas sans ignorer la réponse à mon problème. En fait elle était double. Soit je soignais cette crainte de l’eau, soit je quittais le nénuphar. La première solution me semblait inenvisageable. Cette peur était ancrée en moi et seule une thérapie suivie m’eut permis de la déraciner. Or, les psychiatres grenouilles n’existent pas et consulter un psychiatre humain aurait inévitablement conduit ce dernier à consulter à son tour afin de vérifier sa santé mentale. Il ne me restait donc que la seconde solution. Quitter le nénuphar. Là encore le pari était ardu mais je devais m’y accrocher. J’avais enfin un plan et cela suffit à me redonner le sourire. Je me promis de n’en parler à personne. Si quelqu’un apprenait mes intentions cela ne pouvait m’être que préjudiciable. Ce secret ne fut pas compliqué à garder puisque personne ne me parlait. Le principal obstacle que je voyais à mon évasion était comment me rendre sur les rives de l’étang sans me mouiller. Si ma phobie de l’eau n’avait pas été aussi forte bien sûr la nage eut été la meilleure solution. Mais comment vous dire ? Moi dans l’eau, c’est comme une frite dans l’huile bouillante je n’y aurais pas survécue. Je pouvais aussi utiliser une des feuilles du nénuphar pour m’en servir d’embarcation jusqu’à la terre ferme mais là encore un problème de taille subsistait. Si je pratiquais de la sorte, une grenouille me verrait forcément quitter notre nymphéacée et sonnerait le tocsin. Et alors là s’en serait fini de moi. Elles me poursuivraient et de force me ramèneraient à la maison. Peut-être vous demandez pourquoi iraient-elles contrecarrer mes plans ? C’est vrai elles ne m’aimaient pas et ma disparition ne gênerait en rien le traintrain quotidien de leurs existences. C’est faire fi de l’estime d’elles mêmes qu’elles ont. La nation grenouille est pleine d’orgueil. Elle est fière de savoir vivre dans l’eau et hors de l’eau. Et la crainte inconsciente, donc inavouée, de cette nation est que les humains apprennent que parmi les grenouilles certaines sont terrifiées à l’idée de nager. Si cela se savait alors la nation entière serait en péril. Il ne me restait qu’un seule solution et c’est à partir de cette dernière que j’élaborai le canevas de mon évasion. Moi la frêle petite grenouille surnommée Nouille la grenouille je passai à l’action dès le lendemain matin. Ce fut le début de mon entraînement intensif. Personne ne m’avait jamais vu à pareille fête. Je voulais devenir forte et prendre mon envol. Chaque jour pendant des heures je courrai autour du nénuphar, j’avalai les kilomètres afin de parfaire mon développement musculaire. L’on me regardait interloqué. Nouille la grenouille dont la vie austère imitait celle de l’ermite était-elle devenue folle ? Mes exploits sportifs animaient les conversations de comptoir. Ma discipline de prédilection devint le saut en hauteur. Je me fixai des limites imaginaires que je dépassai jour après jour. Et déjà dans ma tête je n’étais plus Nouille la grenouille mais Frogbury. Pendant des mois je consacrai mon entière énergie à parfaire mes cuisses. Je les voulais dures comme le roc et épaisses comme la couche de connerie qui régnait sur le nénuphar. Bravant les intempéries je ne cessai jamais d’améliorer mes techniques de saut. Le nénuphar était devenu mon stade et j’étais postulant au titre de champion olympique. Déjà, je ne craignais plus mes congénères. Et eux, je les voyais admirer ma musculature de rêve. Ils n’osaient plus se moquer moi. Bien évidemment ma crainte de l’eau demeurait intacte mais je me sentais enfin apte à prendre ma vie en main. Et puis vint le jour où je m’estimai au top. Ce jour, c’était hier. Je n’avais pas le droit à l’erreur. Un seul saut. Et il se devait d’être parfait tant dans la course d’élan que dans l’accélération ou encore dans la fluidité du mouvement. Je toisai d’un ultime regard ces grenouilles qui m’avaient repoussées pendant toutes ces années et me jetai à l’eau. Enfin façon de parler... Je respirai profondément et Lui adressai une prière en pensée. Et oui j’avais beau avoir confiance en mes capacités, là il s’agissait tout de même d’exploser la perf de Bob Beamon. Alors un appel à l’aide divine, pourquoi pas ? et je m’envolai. Dans les airs mon passage fut bref mais pour moi il dura une éternité. Je découvris l’étang qui m’avait retenu prisonnière sous un angle inédit et avec une impression de plénitude. La phase de réception était celle que j’avais le moins étudiée. Pour autant elle se déroula parfaitement. Je retombai avec grâce et sans me blesser. A ce moment j’aurais aimé me laisser submerger par la satisfaction de ma réussite, me laisser envahir du bonheur d’avoir enfin gagner ce rivage que je lorgnais depuis des années mais...Un molosse en décida autrement. C’était l’un des vôtres. Ni chien, ni chauve-souris non c’était un homme. Impressionnant par sa taille et la brutalité qui en émanait il me souleva et me porta à hauteur de sa figure. Deux secondes que j’étais sur la Terre des hommes et déjà j’étais captive. Grand sourire innocent affiché et yeux pétillants il m’examina et déclama « Ben ça alors ! C’est un sacré cadeau ! Comme tu as de belles cuisses petite grenouille ! Merci Seigneur j’avais grand faim. » Sur ce, il accentua son emprise sur mon corps qui essayait vainement de s’échapper et m’introduisit dans sa gueule affamée. Mes magnifiques cuisses dévorées il me recracha et prit la poudre d’escampette. et c’est là que vous intervenez…


Il y eut comme un malaise après que Nouille la grenouille eut terminé le récit de ses aventures. Et cette sensation pénible se prolongea sans que personne n’y puisse y faire. Aucun d’entre nous ne semblait avoir les mots pour la réconforter. Alors on laissa le temps s’égrener jusqu’à ce qu’elle reprenne la parole.


- Vous savez ce n’est pas tant à l’homme que j’en veux mais à son Père. Alors c’est plutôt bien que l’on se rende chez Dieu car moi j’ai deux trois mots à lui dire. Ah oui c’est sur c’est sympa d’avoir exaucer mon vœu. Merci je l’ai bien réussi mon saut mais je ne pensais pas le payer aussi cher. Vous voyez depuis que je suis grenouille, Dieu n’a fait que de me saloper l’existence. Alors oui, menez moi à lui.


- Nous approchons petite grenouille, lui répondis-je, et je crois qu’Il va devoir s’expliquer de pas mal de choses.


Ainsi nous poursuivîmes notre route. Je connaissais maintenant les histoires mouvementées de chacun des membres du groupe et chacune m’émouvait à sa façon. Et tandis que le soleil déclinant annonçait la fin de cette singulière journée je savais que pour nous elle promettait d’être encore longue. Elle se poursuivrait probablement jusque tard dans la nuit. Car aucun de nous ne gagnerait le repos tant que ses plaintes n’auraient pas été entendues. Toutes ces vies gâchées en avaient gros sur la patate. Moi je me disais que la lumière attendait au bout de notre chemin. Pieusement je me rattachais à cette idée. L’illumination escomptée changerait nos lendemains. Les mauvais moments n’existent que pour permettre aux bons de se valoriser.



... to be continued

la suite sera en ligne mercredi 29 août


Aucun commentaire: