mardi 10 juillet 2007

Partie 2 - Chapitre 6 - La maison, ce nid douillet...

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« Tout est de ta faute.» Dieu était tombé en posant une charpente et c’est moi que l’on désignait comme coupable. J'étais si heureuse de le savoir vivant que je ne mesurais pas, contrairement à Phame, combien sa paraplégie allait tout bouleverser. Car elle, elle restait lucide et elle ne voulait pas de ce futur qui se dessinait. Elle ne voulait pas accompagner un handicapé dans sa lutte quotidienne. Pourtant elle le ferait. Elle me jugea donc responsable de tout ce qui se passait. J’étais devenu la « sale petite peste ». Et faut avouer qu'elle n'avait pas tort: Depuis mon entrée dans leur vie je n’y avais semé que le trouble. « Regarde ton père, idiote. Il est là cloué sur son lit, immobile et toi tu te pavanes, tu cours. Mais c’est toi qui devrait être à sa place. Tu mérites de mourir tant tu as été méchante envers ton papa. Personne ne te pardonnera tu traîneras en enfer, garce. » Et si les mots étaient parfois durs la réalité l'était aussi. Et les choses changèrent du tout au tout. Pas le temps de prendre des habitudes de vie classique. Personne ne me ferait de cadeau et c’était comme cela depuis ma naissance. Je fus condamnée à vivre recluse dans une solitude pesante. Et quelques semaines plus tard lorsque l’état de papa fut stable, il rentra à la maison à bord de son fauteuil roulant. J’espérais secrètement que l’amour qu’il m’avait témoigné resurgirait. Au lieu de cela lui aussi m’en voulait atrocement...


  • Eh oui ma petite si tu n’avais pas joué ta maligne, je n’en serais pas là aujourd’hui. Tu as été méchante mais ne t’inquiète pas on est avec toi maintenant et on va te dresser. D’abord j’ai beaucoup regretté de t’avoir adopté. Oui j’ai fait une erreur tu ne mérites pas de vivre sous mon toit. Mais parce que Phamela et moi sommes de bons chrétiens nous allons te garder à nos côtés et allons t’aider à surmonter la haine qui t’anime. Et pour ce faire, méchante fillette, tu vas apprendre l’obéissance. Et un jour viendra où tu me remercieras de t’avoir rendu meilleure.


Aussi proche de Dieu, je n’avais pas imaginé un instant que j’allais côtoyer l’enfer. J’appris donc à laver, à brosser, à récurer, à faire fonctionner un four, à nettoyer, à frotter, à cuisiner, à dépoussiérer. J’étais assignée à l’ensemble des tâches ménagères. Les seules choses qui m'étaient interdites concernaient l’assistance proche de papa. Tout cela était dévolu à Phame. Comme j’avais fait déjà assez de mal à papa il fut ordonné que je ne l’approche plus. Un véritable manège s’instaura alors. Quel que soit le moment de la journée, je ne me trouvais plus jamais dans la même pièce que mon père. S’il lui prenait l’idée de se nourrir il beuglait depuis son salon « Carol-Anne prépare à manger et mets les couverts. » Lorsque tout était prêt sur la table je le lui signalais et il me répondait immanquablement « Bien et maintenant vas te cacher dans ta chambre. » Ainsi organisé nous ne nous croisions plus. Dieu était devenu une voix qui s’adressait à moi tel un maître à son esclave. Quand il était repu Phame l’amenait dans le salon. Bien qu'elle semblait aller contre sa volonté, Phame lui était entièrement dévouée depuis l’accident. Le mariage et sa notion d’union prenait ici une dimension presque organique tant Phame ne lâchait plus son mari. Elle le levait, le lavait, le portait sur son fauteuil, dont elle assurait également l’entretien, le promenait et le couchai. Après qu’ils eurent remplient leurs panses, je pouvais rejoindre à mon tour la table familiale qui ne l’était plus vraiment, où m’attendaient quelques restes froids. Je mangeais seule tout en nettoyant cette pièce qu’il convenait de faire briller. Je n’étais pas inscrite à l’école, c’est Phamela qui m’éduquait. Les matières de l'esprit étaient survolées tandis que mon développement physique était optimal en raison de ma pratique quotidienne du balai. À croire que si le balai avait été sport olympique j’eus été une candidate sérieuse pour l’or. D’ailleurs je mesurais mes performances pour nettoyer telle pièce ou telle surface. J’inventais des tas de règles spécifiques à mon sport que j'homologuais auprès de la fédération internationale de balai et notais mes chronos sur un petit cahier. Je détenais la quasi-totalité des records du monde. Cependant lors de meetings auxquels je participais pour me régler en vue d’un important championnat mais aussi pour l’aspect lucratif il faut l’avouer je laissais de temps à autre une concurrente américaine, biélorusse ou chinoise frapper un grand coup. Il me fallait alors sortir le grand jeu et portée par le public que j'imaginais nombreux je trouvais les ressources et enflammais le stade. Une décathlonienne du ménage Ces petits moments étaient comme une échappatoire au quotidien sordide de l’entretien de la maison. C’était en fait la seule chose qui me procurait un certain plaisir car quand je recouvrais ma chambre l’angoisse pénétrait en moi. Depuis mon adoption, je n’y trouvais qu’en de rares occasions le sommeil. Je demeurais à l’écoute des bruits en provenance du sol qui me faisaient peur. De toutes les pièces de la maison c’était dans ma chambre que je me sentais la moins en sécurité. Après ma vaisselle post-dînatoire je rejoignais mes quartiers aux alentours de 22h00. Au début je tentais de m’endormir en exerçant avec mes mains une forte pression sur mes oreilles afin de réduire les bruits qui m’appelaient. Je me cachais également la tête sous l’oreiller. Mais cela ne fonctionna qu’un temps. Ces sons ténébreux hantaient mes esprits et peuplaient mes cauchemars. Je décidai en fin de compte de m’éclipser la nuit tombée. Dès lors je n’avais plus peur. Une fois que Phamela et Dieu dormaient profondément j’ouvrais ma fenêtre et depuis le rebord sautais sur l’arbre de sagesse qui depuis mon arrivée, je crois, veillait sur moi. Je glissais ensuite le long de son large tronc. Sur la pelouse je m’allongeais et demeurais immobile à l’écoute de la nature. Quand le monde s’éteint, regarder la nuit est comme un privilège. Les étoiles me donnaient des clins d’œil, le vent déposait sur ma peau des baisers et la lune orchestrait le tout. Enfin un sentiment de paix naissait en moi. Insouciante, je pris donc cette habitude de descendre chaque soir le long de mon arbre pour dormir étendue à même le sol. La fraîcheur du petit matin se chargeait de me réveiller et aussitôt je regagnais ma chambre de la même façon que je l’avais quittée quelques heures auparavant. Mes nuits étaient courtes mais elles m’offraient la sérénité. Et parce que mon parcours est un amoncellement d’embûches le tonnerre me foudroya. Oh pas au sens littéral mais tout de même…


  • qu’est-ce que tu fais ici petite traînée ?


Je sursautai brusquement à l’entente de cette phrase pleine de méchanceté. Phame venait de me trouver de bon matin.


  • euh attends, je vais vous expliquer.


Je ne m’étais pas réveillée ce matin et lorsque mes yeux s’ouvrirent la nuit s’était bel et bien envolée. Sans me faire signe.


  • tu vas te bouger feignante, ton père va bientôt avoir faim et toi tu es là à paresser.


C’était comme une éclipse de soleil. La grosse tête de Phame qui m’injuriait était en plein dans l’axe de l’astre jaune.


  • tu vas devoir nous rendre des comptes, saleté. Allez ouste dégage.


Je peinais à articuler et ne m’aventurai donc pas dans une explication rocambolesque. Je me hâtai plutôt à regagner ma chambre, par l’escalier cette fois ci, et m’habillai en vitesse. Ensuite je rejoignis la cuisine pour y préparer le café. Phame m’y attendait déjà. Tandis que je changeai le filtre elle ne me quittai pas du regard.


  • Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi ? toi l’enfant aux mille tares.


En sanglots je tentai quand même de me justifier :


  • En fait……tout ça c’est à cause des bruits………dans ma chambre, j’ai trop peur…….sous le lit dans le plancher ça court et moi je suis effrayée et je peux pas dormir. Trop de bruits étranges…


J’avais un peu de honte terrée en moi. Une drôle d’impression que la vie de ces deux adultes serait bien plus facile si ma présence était absence. Je m’attendais à ce que Phame me balance l’une de ses répliques de femme élevée à la dure style « tu es grande, gamine. Il faut dominer ta peur. Si tu ne la fais pas, personne ne le fera pour toi. » Et puis non. Elle restait là à me toiser du regard, l’air ailleurs. Peut-être me prenait-elle en pitié ou peut-être s’en foutait-elle. Moi, pour sûr, j’aurais apprécié d'avoir dans mes moments d’angoisse une maman qui m’aurait serrée dans ses grands bras pour me réconforter. Une maman qui aurait allumée ma lampe de chevet pour éclairer mes peurs et entrouvert la porte de ma chambre pour les faire fuir. Phame, elle, ne manifesta aucun signe d’affection ou de réprobation face à mes pleurs. Elle me regardait froide et impassible. Je poursuivis donc mes tâches. Maintenant nous avions acquit un rythme de croisière. Finie l’urgence des premiers temps, tout devenait minuté. Ses allers et venues correspondaient précisément avec les miennes. Seuls nos trajets étaient opposés. La maison était constamment propre. Si une poussière bougeait je la remettais aussitôt à sa place. Je continuais à passer la balai pour entretenir ma condition d’athlète mais il n’y avait plus rien à ramasser. « Comme je suis triste » se serait dit cet objet aux longs poils s’il avait été vivant. En panne d’activité nouvelle j’entrepris de nettoyer les semelles des chaussures afin qu’elles ne salissent plus l’intérieur de la demeure. Je me voyais comme une Géo Trouvetou de l'intérieur. Pourtant suite aux résultats médiocres que j'obtins j'hésitai à poursuivre mon projet. Et puis non dans une ultime tentative je poussai plus loin l’expérience en savonnant ces mêmes semelles. J’espérais qu’en disposant ainsi les forces de la propreté sous mes chaussures elles porteraient l’estocade aux forces boueuses de la saleté. Les combats, auxquels je ne pus malheureusement assister puisque il me fallait avoir les pieds posés à terre afin qu’ils puissent se dérouler, furent à n’en pas douter âpres et valeureux mais ce fut à mon grand désarroi la crasse qui l’emporta. Les méchants étaient vraiment les plus forts et les gentils beaucoup trop innocents pour espérer un jour l’emporter. Qu’importe, ces combats occupaient merveilleusement mes journées. Dans l’attente d’une vie meilleure. Et surtout, ils me permettaient d’oublier tout ce qui m’accablait ici. L’angoisse de ma chambre, la haine de Phamela à mon égard et par dessus tout le rejet de Dieu. Étais-je vraiment la fautive de tout ce qui s’était passée ? et pourquoi n’expiait-il pas mes fautes ? Même quand en moi je pensais à des grossièretés je les avalaient plutôt que de les prononcer et malgré cela je demeurais damnée. Je n’allais tout de même pas me rendre à la confession. Le curé aurait à n’en pas douter, immédiatement, reconnu la fille du Tout Puissant que j’étais. Et si dans la plus grande des confusion il n’aurait pas fait le rapprochement comment lui le sbire aurait-il pu aller contre la volonté de son maître ? J'en étais à ce degré d'interrogation quand, au milieu de l'après-midi, tandis que je suspendais du linge, Phamela m'apparut. Je posai les vêtements de Dieu dans la corbeille et l'écoutai.


  • j’ai discuté de tes peurs avec ton père. Il ne souhaite pas que les choses soient ainsi. Il a décidé que nous viendrons te parler ce soir. Ainsi soit-il.


Sur ce elle disparut. Son allocution bien que brève venait de dénouer le noeud qui avait élu domicile dans mon ventre. Je n’eus cependant pas le laps de temps nécessaire pour lui témoigner ma gratitude. Pourtant toutes les pores de ma peau transpirait de pouvoir en ordre prononcer le m le e le r le c le i. Si Phamela les avait voulu écouter elle aurait su de qui la fille j’étais, tant la sincérité de ces lettres était évidente. C’est cette même sincérité qui m’empêcha de réprimer le sourire qui grandissait sur mon visage. Enfin, papa se rappelait à mon bon souvenir. Je me disais bien quand même que les choses ne pouvaient pas durer. C’est vrai son accident lui pesait et probablement s’était-il un peu replié sur lui même pour accélérer sa remise en forme. Mais ça y était enfin. Par dessus tout papa ne voulait pas que je souffre. La dureté de mon quotidien le peinait certainement. Je n’aurais pas aimé être Phame en ce moment ! Comme ses bretelles devaient remonter de m’avoir si maltraitée ! Pour ma part j’attendis impatiemment le soir. Je fus un peu contrariée du déroulement du reste de la journée. Car rien ne vint conforter mon espoir. J’exécutais mes tâches une fois, deux fois, trois fois. J’aurais tant aimé manger avec eux ce soir là mais non, une fois encore j’avalai dans ma grande solitude mon plat refroidi. Mais bon que voulez vous, Dieu à des principes. S’il dit qu’il parlera le soir venu, hors de question que les choses se fassent autrement. Bien sûr un papa moins important que le mien eut été impatient de retrouver sa fille mais dans notre famille c’était comme ça il décidait et c'était pas autrement. Ce n’était pas un manque d’amour, seulement la nature divine. Ce soir là l’épreuve du balais fut comme un jubilé sportif. Dernière compèt’ avant la retraite. J'acceptai avec dignité et sans pleurs l'ovation du public. En sortant les poubelles j’imaginai sereinement mon avenir comme entraîneur d’une équipe de balayeuses professionnelles au sein d’un énorme complexe industriel ou commercial. Quelque part au fond de moi je m'imaginai aussi devenir une petite fille comme les autres. L’heure de gagner ma chambrette arriva enfin. Ça y est, à nouveau j’angoissais seule sur mon lit. Combien de temps allaient-ils mettre pour venir ? Et si Phame m’avait mentie ? J’appuyai l’oreiller sur mon visage et usant de mes cordes vocales, je poussai un cri sourd et résonnant Mes lèvres vibrèrent, Mes tympans vrombirent. La tête ainsi engoncée et le « hhhmmmm…. » confortablement installé dans ma caboche je n’entendis pas la porte s’ouvrir. Elle s’immisça la première.


  • Carol-Anne, cesse tes enfantillages, gronda Phame en m’ôtant mon otage de plume, nous devons te parler.


Je m’asseyais en silence sur mon lit. Sous mes yeux Phame installait le fauteuil roulant de mon père, dont la place était restée vacante, à proximité de mon lit. Je fus surprise de la voir orienter le fauteuil non pas face à moi mais dos à moi de sorte qu’une fois assit il ne puisse me voir. Comme ma chambre était à l’étage Phame devait redescendre afin de porter Dieu dans l’escalier. Se donner tant de mal pour me voir me paraissait chose étrange. Je proposai mon aide à Phame.


  • Si tu veux, Phame, je peux t’accompagner pour faciliter ta tâche.


Elle me répondit de sa voix froide qui imposait le respect.


  • Hors de question, tu ne le touches pas, les choses sont bien claires ?

  • …………

  • Les choses sont-elles claires ? brailla-t-elle dans l’attente de ma réponse.

  • Oui, elles le sont.


Elle quitta la pièce et déjà des frissons envahissaient mon corps. À quelle sauce allais-je être mangée ? Je tendis l’oreille en direction de l’escalier. J’imaginais difficilement la scène qui se tramait plus bas. Dieu était un être imposant, et qu’il faille le porter ou le traîner, ce ne devait pas être chose aisée. Seules douze marches séparaient l'étage du rez-de-chaussée. Et si, départ arrêté, je les grimpais en 3 secondes et 38 centièmes, record du monde féminin comme je me l'auto-attribuai, papa et Phame établirent ce soir-là la performance la plus médiocre de l'année en escaliers-handisports. À croire qu'ils n'allaient jamais arriver. Le poids exercé sur chacune des marches était tel que chacune usa de son droit de parole. Elles grinçaient à se péter la planche. Et chacune avait sa propre sonorité, sa propre voix, sa propre plainte. Pour gagner de précieux centièmes, j’avais appris à les effleurer, presque à les survoler. Ce n’était pas l’envie de pleurer qui manquait au bois mais plutôt le moyen. Il fallut bien une demi-heure pour que Phame amène Dieu à l’entrée de ma chambre. Trempée de sueur elle le souleva dans un ultime effort et le laissa retomber comme une masse sur son fauteuil. De lui je ne pouvais distinguer que sa nuque et sa chevelure. Le fauteuil massif masquait le reste de son corps. Phame s’assit quand à elle sur le bord de mon lit. Et c’est elle qui commença.


  • Ma petite, jamais elle ne m’avait appelé comme cela, il est temps pour toi d’apprendre la vérité. Si nous venons te trouver ce soir c’est parce que tes peurs te doivent être expliquées. À ton arrivée nous n’avons pas jugé utile de te raconter les origines de cette maison. Nous avions espéré que ton sommeil n’aurait pas souffert. Et puis comme par ta faute ton papa est invalide nous avons jugé qu’un châtiment de cauchemars n’était pas cher payé. Mais ton père est bon et maintenant il va te parler.


Pour le coup, tout était silencieux. Le ton solennel de Phamela m’intriguait et je n’aimais pas vraiment la tournure que prenait les évènements.


  • Bonsoir Carol-Anne

  • Bonsoir papa. Émue j’étais.

  • Tout d’abord dis moi comment tu te portes ?

  • Ça va papa, je suis si contente que tu sois là.

  • Très bien. Je sais que depuis l’accident l’on ne se voit plus mais les choses vont changer dorénavant. Affaibli et condamné à rester sur ce fauteuil, je souffre. De te voir courir et gambader avec tant d’arrogance. Tu m’as volé ma liberté de mouvement et je t’ai alors considéré comme un danger. D’un regard tu as réussi à me faire tomber d’un toit alors je me suis dit que tu étais capable de bien pire si tu me touchais. C’est Phamela, bienveillante, qui s’est occupée de toi. Je devine que tu la trouves dure par moment et peut-être même ingrate mais pourtant tout ceci elle le fait pour ton bien. Car nous sommes tes parents. Nous sommes donc aimants. Preuve de son amour, ta mère est venue à moi aujourd’hui. À ton sujet elle était inquiète. Elle m’a fait part de ta confidence et j’ai su que je me devais d’intervenir. La plupart du temps c’est l’inconnu qui effraie. L’inconnu laisse une porte grande ouverte aux imaginations fertiles. Toi tu en est dotée et sans même le vouloir tu laisses ta fantaisie s’exprimer et s’engouffrer dans ce passage vers l’ombre. Et les idées les plus folles et terrifiantes font leur chemin et viennent te hanter. Oui tes frayeurs me parlent et si je les peux apaiser alors je vais le faire. Maintenant. Je vais te révéler certaines choses qui se sont déroulées il y fort longtemps dans la ville proche et dans cette maison. Après cela tu seras guérie de toutes tes hantises. Es-tu prête Carol-Anne ?

  • Amen, prononçais-je subjuguée par la force grave et intimidante de mon père.


Il reprit.


  • Vers la fin du 19ème siècle le monde s’est transformé. L’essor industriel et mécanique a accéléré le développement économique. Les villes, la notre y comprise, ont connu une phase d’expansion sans précédent. L’automatisation des systèmes de production et l’apparition des premières machines-outils ont favorisé le passage d’un mode de production artisanal et rural à un mode industriel et urbain. La ville était un chaudron bouillonnant. Les paysans quittaient leurs terres pour venir trouver fortune dans les usines qui se créaient. Chez nous la zone portuaire était le cœur de ce nouveau monde. Les échanges maritimes et commerciaux s’intensifiaient de façon impressionnante. Toujours plus de bateaux, toujours plus d’ouvriers. La machine était lancée et rien ne pouvait la stopper. Mais le rythme imposé par ce développement économique était trop élevé et tout ne pouvait pas suivre. Les conditions d’hygiène devenaient déplorables. La ville commençait à se couvrir d’une épaisse couche de crasse. Et personne ne semblait s’en soucier. Tout ces échanges commerciaux et industriels généraient des déchets. Incalculable d’ailleurs. Des tonnes et des tonnes de détritus venaient s’entasser partout où ils trouvaient place. Au début ils étaient cachés dans des ruelles et autres sombres impasses, mais quand les cachettes furent toutes occupées ils s’affichèrent sans vergogne n’importe où en ville. Et tout le monde s’en foutait. Au début tout au moins. Car la fortune attendue après de longues périodes de disette acceptait de composer avec des milliards d’ordures. Tout ce que je te conte là Carol-Anne est écrit dans tes livres d’histoire. Ce qui va suivre par contre tu ne le trouveras jamais dans tes livres et ce pour la bonne raison qu’il n’y a jamais eu d’écrit à ce sujet car l’humain est vil et préfère oublier à jamais les moments douloureux de son histoire. Donc pour reprendre, tandis que la ville devenait une véritable déchetterie de nouveaux habitants firent leur apparition. Ils arrivaient tout droit des bateaux qui s'amarraient au port. Ils étaient des centaines dissimulés dans les cales. Grosses bêtes pourvues de longues queues. Affamés ils venaient de traverser les océans. Et alors que les marins déchargeaient les cargaisons, l’odeur putride qui flottait sur la ville venait charmer les museaux pointus de tous ces rongeurs qui mourraient de faim. Un véritable festin étalé aux quatre coins de la ville attendaient ces milliers de rats. Aussitôt ils débarquèrent et s’approprièrent la ville. Leurs corps robustes, leurs queues écailleuses affolèrent rapidement toute la populace. Ils étaient partout. L’on n’osait plus se coucher dans son lit sans vérifier sous les draps. Les histoires d’agressions nocturnes étaient si nombreuses que certains commençaient à se barricader. Et comme ils étaient rapides et donc difficiles à attraper les rats étaient de redoutables ennemis. Mais le pire c’étaient qu’ils se multipliaient. Un rat pouvaient avoir jusqu’à six portées par an. Chacune de ces portées donnant la vie à six voire à douze petits. En un an les scientifiques estimait que le nombre de rat pouvait passer d’environ 10 000 à 90 000. C’était là les prévisions les plus optimistes car certains n’hésitaient pas à avancer des chiffres supérieurs à 300 000. L’homme et le rat n’étaient pas faits pour cohabiter, c’était là une certitude. Il fallait donc trouver un moyen d’éradiquer cette race. La chasse aux rats était ouverte. De nombreux pièges furent conçus mais c’est le feu qui s’avéra l’arme la plus efficace pour une extermination massive. Chaque monticule d’ordure était ainsi passé aux flammes et les cris de souffrance atroce qui s’échappaient des rats en feu terrorisaient les plus jeunes. C’était un travail long et pénible mais il fut accompli en un temps record. La mobilisation des hommes était impressionnante et rapidement l’ennemi disparut des places....


Dieu s'accorda une pause puis avala le contenu entier d'un verre d'eau.

  • Mais tous les rats n’étaient pas morts. Ceux qui avaient échappés aux flammes se cachèrent pour partie dans les égouts de la ville tandis que les autres la quittèrent. C’est là qu’intervient une vieille femme nommée Mary. Comme je viens de te le dire, Carol-Anne, Mary était une vieille femme. Très vieille même, il était impossible de lui attribuer un âge. Elle avait vu les hommes migrer vers la ville, mais elle, n’avait pas souhaité y aller. Elle vivait seule dans sa maison à quelques kilomètres de l’entrée de la ville. Depuis toujours elle y était recluse, n’acceptant la visite de personne. En ville les gens la connaissaient et tous la prenaient pour une vieille folle. On la disait même sorcière mais c’était surtout pour effrayer les enfants pas assez sage. Toujours est-il que lorsque les rats furent chassés de la ville, Mary les accueilli. Elle ouvrit la porte et les laissa pénétrer son antique demeure. Elle n’avait pas peur d’eux et rapidement obtint leur respect. Mary aimait à les caresser et les rats s’amusaient à lui grimper dessus. Sa maison devint comme une sorte de refuge. Elle les nourrit, les soigna et les réconforta. La nuit tombée, Mary laissait ses protégés reprendre la direction de la ville afin qu’ils trouvent quelques déchets à leur goût. Ils revenaient ensuite dormir à la maison. Ils devinrent ainsi plus fort et plus puissant. La maison de Mary était infestée de rats. Ils grouillaient de partout en journée et le soir venu ils gagnaient la ville pour se ravitailler. Malheureusement pour eux, tout le monde ne dort pas la nuit. Et certains hommes qui erraient dans les rues en pleine nuit s’aperçurent du retour des rongeurs. Ils alarmèrent aussitôt les autorités qui dressèrent un constat similaire. Sans peine ils découvrirent le refuge secret. Mary la vieille sorcière en voulait à tout le monde, ils en étaient sûr. Il fut donc décidé qu’elle devait périr avec les bêtes. Les hommes aspergèrent d’essence la demeure puis les flammes firent leur travail. Ce fut un gigantesque brasier duquel aucun rat ne sorti vivant. Ils hurlèrent la mort toute la nuit durant mais ne purent s’échapper. Pas plus que Mary dont l’entier corps fut calciné. D’elle on ne retrouva que quelques cheveux et ses dents. Peu fier d’avoir brûlé une femme vivante sans même l’avoir sommé de sortir ou de se rendre, la ville enterra cette histoire et son souvenir. Et la vie reprit son cours comme si rien de cela ne s’était passé. La maison de Mary fut rasée et le terrain laissé à l’abandon. Tu me suis toujours Carol-Anne ?


Je sortis brusquement de l’état de frayeur dans lequel je m’étais laissée glisser.


  • Oui j’écoute mais cette histoire me fait peur.

  • Ne t’inquiète pas, c’est bientôt la fin reprit-il. Donc, rien ne se passa pendant des dizaines d’années et l’histoire de Mary et des rats fut jetée aux oubliettes. Jusqu’aux années 1950. Un promoteur immobilier qui débarquait dans la région acheta le terrain pour une bouchée de pain. Très content de son affaire il entreprit immédiatement la construction d’une belle bâtisse. Un ancien qui avait toujours connu cette ville vint le trouver. Il voulait le mettre sur ses gardes. « Il ne faut pas construire ici. J’étais là il y a 60 ans et j’ai tout vu. Aujourd’hui ma mémoire récente peut flanchée mais ce que j’ai vu sur ce terrain alors que je n’étais qu’un enfant je ne l’oublierais jamais. Ce terrain est hanté, Monsieur. Si vous construisez alors ils reviendront. Ils seront nombreux et ils vengeront Mary. » Mais le promoteur se fichait éperdument des délires d’un vieil hurluberlu sénile. À tort dit-on. Le promoteur fit construire la maison mais de son vivant il ne trouva personne pour l’y habiter. Autant te le dire ma petite Carol-Anne que lorsque nous avons vu qu’elle était à vendre pour une somme tout à fait modique, Phamela et moi nous sommes précipités les yeux fermés sur cette affaire. Car après tout on ne croit pas à ces histoires de rongeurs aux dents aiguisées pas vrai ? Voilà ma chérie, j’espère que les choses sont maintenant plus claires dans ton esprit. Nous allons te laisser dormir car il se fait tard. Je t’aime Carol-Anne, fais de beaux rêves.


Ils s’éclipsèrent. J’étais si pétrifiée que je ne les entendis même pas rejoindre le rez-de-chaussée. Et mes oreilles guettaient.





... to be continued

la suite sera normalement en ligne mercredi 18 juillet

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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