mardi 10 juillet 2007

Partie 2 - Chapitre 7 - I am a taupe, ceci est ma destinée

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Être à l’image de son père, voilà bien une chose à laquelle la taupe noire n’avait jamais songé. Contrairement à celle de l’homme, sa mémoire n’était pas faillible et si elle la remontait souvenir après souvenir jusqu’au commencement et bien aucun ne faisait état d’une envie d’être semblable à papa. Elle était la benjamine d’une famille de cinq taupes et bien que l’aîné et le cadet eurent montrés dès leur plus jeune âge des dispositions à prendre la suite du père, la petite taupe noire, quant à elle, restait en retrait. Or, si Dieu avait mis des taupes sur terre, où plutôt sous terre, c’était pour qu‘elles creusent. Mais la petite taupe noire se sentait différente. Bien sûr, elle participait régulièrement à la tâche mais jamais avec le même engouement que ses frères et son père. Ceux ci eurent tôt fait de s’inquiéter de la voir rêvasser dans son coin. Et ce n’était pas la faute à son corps. En effet, la petite taupe noire était d’apparence robuste et ses pattes extrêmement développées se terminaient par de fortes griffes. Non ce n’était pas là qu’il fallait chercher. Alors qu’elle était enfant la petite taupe noire aimait à jouer avec ses deux frères à cache-cache. Le dédale qui s’offrait à elles était un superbe terrain de jeu aux cachettes innombrables. Un jour, à la recherche d’un nouvel endroit où se dissimuler, elle s’était aventurer plus loin que d’habitude. Ainsi était-elle arrivée dans un long couloir plus lumineux que tous les autres. Ses yeux minuscules ne pouvaient voir cette lueur et suppliaient son esprit de faire demi-tour. Mais la tentation était déjà présente. Car il y avait ce drôle et parfumé souffle frais qui venait balayer les poils de la petite taupe noire. Cette sensation jusqu’alors inconnue la poussa à poursuivre. Elle s’engouffra donc dans la galerie, luttant contre l’aveuglement, mais irrémédiablement attirée par la lumière. Et c’est comme cela que la petite taupe noire mit le nez dehors. Là ce fut le choc. Comment traduire ce que la petite taupe noire ressentit à cet instant précis? Née dans l’obscurité elle y avait vécu chaque moment de son existence sans même concevoir cet endroit merveilleux. Bientôt ses pupilles s’habituèrent à la lueur du jour et c’est une foultitude de sensations plus intenses les unes que les autres qui vint l’envahir. Prise dans un formidable tourment elle gambada de longues minutes sur l’herbe verbe qui habillait la terre. À bout de souffle elle s’allongea sur le dos pour récupérer et à nouveau ce fut l’ébahissement. Le ciel bleu et ses nuages pénétrèrent son champ de vision et en quelque sorte, on peut le dire, jamais il n’en repartirent. C’était de la magie. Ces fumés amassées qui défilaient au gré des vents suspendues dans ce ciel profond dépassait l’entendement de la petite taupe. Elle en était bouleversée et elle resta ainsi allongée le restant de la journée oubliant sa partie de cache-cache. En bas par contre sa famille ne pensait qu’à elle. Sa trop longue absence avait alerté ses frères qui prirent soin de prévenir papa et maman taupe. Papa taupe avait toujours craint que ses enfants se perdent dans ces immenses galeries et si dès leurs plus jeune âge il les avait mis à creuser c’était surtout dans le but de les familiariser avec le labyrinthe. En raison du peu d’intérêt marqué par sa petite dernière il la considérait depuis longtemps comme la plus sujette à se perdre. Quand ses deux grands l’informèrent de la disparition il eut toutes les raisons de croire que quelque chose de grave s’était produit. Tous se mirent donc à la recherche de la petite taupe noire. Mais elle, elle s’en carrait complètement. Sous terre elle ne s’était jamais vraiment sentie à sa place. Et là toute sa vérité lui éclatait au museau. Elle savait ce qu’elle voulait devenir. Ce vers quoi sa destinée la portait. Elle serait un nuage. Un formidable nuage, immense parfois et minuscule ensuite. Elle se promènerait de par le monde découvrant mille et une beautés. Elle s’endormit sur le duvet vert persuadée qu'à son réveil elle serait un nuage et qu'elle s'envolerait alors parmi les siens. Les heures passèrent sans que rien ne vint perturber ses doux rêves jusqu’à l’irruption de papa taupe. Après avoir fouillé un maximum de galeries l’idée qui depuis le début des recherches se faisait timide devint de plus en plus insistante. La petite taupe avait à coup sûr déniché un passage vers la lumière. Convaincu, Papa taupe se rua à la surface mais la nuit était déjà tombée. Il suivit le passage qu’elle avait laissée derrière elle et n’éprouva ainsi aucune difficulté à la retrouver. Lorsqu’il aperçut son corps allongé il pensa que le pire était arrivé. À la vue du sourire radieux qui illuminait le visage de la petite dernière, il se rétracta. De bien jolies choses se passaient dans cette petite tête de linotte. Il la réveilla brusquement et sans qu’elle eut réellement le temps de reprendre ses esprits, papa taupe la poussa vers la taupinière. Ce soir là il ne ferma pas les yeux. Après que ses frères et sa mère eurent embrassés la petite taupe, papa taupe les réunit autour de lui.


  • Ce soir, mon enfant, tu nous as fait peur. À moi ton père mais aussi à ta mère et à tes frères. Tu t’es aventuré dans un lieu que tu n’aurais pas du découvrir avant ta majorité. Tu as cru que le monde du dessus était un bel et agréable endroit comparé à l’obscurité du notre mais tu te trompes, c’est un leurre. Ce que tu as vu est l’endroit le plus vicieux de la création. Y vivent des êtres ignobles qui se nomment hommes. Ces êtres répugnants ont pour seule idée celle de nous détruire, nous les habitants du monde du dessous. Leur inventivité destructrice n’a d'égale que leur méchanceté. Aujourd’hui tu as eu de la chance mais soit en persuadée, l’un d’eux t’a repéré et si tu lui offres une nouvelle occasion alors il ne te loupera pas. Ils ont certainement découvert l’entrée de notre refuge et ils ne manquerons pas de nous attaquer si nous leur en donnons l’opportunité. Je suis fautif et je m’en veux terriblement. Jamais je n’aurais du vous laisser jouer sans vous mettre en garde. Je suis triste d’avoir laissé filer les choses mais je suis heureux de vous avoir tous avec moi, ma famille que j’aime. Petite taupe je ne veux plus te voir traîner vers les entrées. Et ce qui vaut pour toi vaut aussi pour tes frères. Maintenant dormez.


Et tandis que la petite taupe s’endormit en songeant au merveilleux de ce qu’elle avait découvert, papa taupe resta éveillé. Il secoua bientôt ses deux grands et maman taupe en prenant soin de ne pas éveiller la petite taupe noire.


  • je sais que vous avez tous été attentifs à mon discours ce soir. Mais ce que je sais aussi c’est que l’insouciance d’une jeune taupe prend bien souvent le dessus sur les interdits. Aussi vous allez m’accompagner et pour la sécurité de notre petite taupe bien aimée nous allons boucher ce passage qu’elle a découvert.


Sur ces dires les quatre taupes se mirent en chemin. Et puis la nuit s'écoula et un jour succéda à un autre. Au petit matin, la petite taupe noire se réveilla des rêves plein la tête. Elle s’étira mais ses pattes ne trouvèrent pas ses deux frères. En effet elle dormait entre ses frères et chaque matin pour s’amuser et les agacer elle s’étirait et posait ainsi ses pattes sur leurs visages. Mais ce matin elle eut beau chercher elle était seule dans le lit. Elle se redressa donc et chercha du regard le reste de la famille. Mais papa taupe et maman taupe n’étaient pas là non plus. Avait-elle dormi plus longtemps qu’à l’accoutumée ? Elle ne prit pas le temps de répondre à sa question car une seconde vint lui traverser l’esprit. Qu’était-ce cette odeur inhabituelle qui régnait dans la galerie ? À cet endroit l’odeur était assez faible, la petite taupe se mit donc à rechercher l’origine de cette mauvaise odeur. Elle se mit à courir au travers du labyrinthe et nota après quelques virages qu’elle se dirigeait vers la galerie interdite. Arrivée sur place ce fut l’horreur. La terre s’était éboulée de partout. Mais surtout elle recouvrait en partie les corps. Ce fut celui de maman taupe qu’elle vit en premier. De sa gueule ouverte s’échappait des flammes. Ses yeux crispés laissaient à penser qu’elle s’était débattue avant de se laisser emporter par la mort. L’odeur était maintenant insoutenable mais la petite taupe noire continua à avancer. Ce fut alors le visage de Papa taupe qui surgit derrière une pierre. Elle s’en approcha pour lui demander ce qui s’était passé mais à quoi bon parler à une tête… quand le reste du corps traîne à plusieurs mètres. Effrayée la petite taupe bondit vers l’arrière. Elle s’enfuit alors sans regarder derrière elle. Sans même remarquer que plus au fond ses deux frères brûlaient main dans la main. Il fallut beaucoup de temps et autant de larmes à la petite taupe pour comprendre ce qui s’était passé cette nuit là. La méchanceté des hommes n’était pas une légende racontée aux enfants pour les calmer. Non cette méchanceté était réelle et elle venait de décimer sa famille.



Et son deuil achevé la petite taupe noire devint la taupe noire vengeresse. Elle voua ainsi sa vie à une éventuelle vengeance contre les êtres du dessus. Elle enfouie son désir de devenir nuage au plus profond de son âme ne l’autorisant à refaire surface que lorsque sa mission vengeresse serait accomplie. Et jour après jour elle s’adonna à transformer le magnifique labyrinthe imaginé par son père en un maquis inextricable, un refuge de guerre. Son corps devint athlétique et robuste, il ne lui restait plus qu’à attendre l’ennemi. La taupe noire parcourait ainsi les couloirs souterrains imaginant les luttes futures, élaborant des stratégies de repli au cas où, disposant des vivres à intervalles réguliers…Toujours en elle demeurait cette certitude d’une lutte proche. Et elle ne se trompait pas. Les cris vinrent le lui confirmer. Car ces cris étaient si puissants...Tout d’abord elle crut que l’attaque avait été portée pendant son sommeil. La terre avait tremblé et certaines galeries s’étaient en parties effondrées. En sursaut la taupe noire s’était réveillée et tout de suite s’était mise en mouvement. Sa tactique était limpide. Il fallait repérer l’ennemi et le détruire. Son unique ambition était de venger la mort des siens et non pas de préserver le réseau souterrain. Puis il y eut le cri hurlant. Il avait mûrit dans les tréfonds du sol et avait explosé dans le monde du dessus après avoir remonté chacune des couches terrestre avec une rage qui se transformait en haine brute. Bien qu’effarée par la puissance bruyante qui ne cessait, la taupe noire dévala ses galeries sans trouver l’origine du mal. Parce que les animaux possèdent des facultés de communication qui dépassent l’entendement humain la taupe noire sut que ce mal qui la rongeait créait des ravages chez les animaux du dessus. Elle fonça alors tête basse, passa alors le couloir qui servait de sépulture aux siens et força le passage obstrué qui menait vers la lumière qu’elle avait tant aimé. Un combat petite taupe noire et ton vœu s’exaucera, tu seras nuage. À l’extérieur la taupe noire n’eut point le temps de renouer avec la sensation de bonheur qu’elle avait expérimentée il y avait fort longtemps déjà. Car ce cri qui s’était amplifié alors qu’elle s’approchait de la surface était dorénavant insoutenable. Les tympans hésitaient à partir en vrac. Peut-être savaient-ils qu’après l’âpreté de la lutte surgirait le bonheur. Si beaucoup d’animaux s’étaient réunis en ce congrès exceptionnel peu se portaient candidats à la bataille. Le choix fait, la taupe regagna les entrailles de la terre. Dès lors, les choses étaient claires, elle n’interviendrait que si le renard roux puis le grand corbeau étaient vaincus. Cette position de remplaçante n’altéra en rien sa préparation puisqu’elle s’y consacra comme si elle avait été la première à partir au front. Aussi lorsque la double défaillance fut une évidence, taupe noire était fin prête. Elle salua les membres de l’assemblée un peu déconfit par la tournure dramatique des évènements et leur promit une victoire nette et sans bavure. Le soldat taupe se mit donc en marche. Face aux coups de griffes la terre ne rechigna pas. Elle s’effrita à grande vitesse et la galerie qui mènerait sans tarder à l’ennemi prit forme. Une vieille croyance humaine dit que lorsque le corps meurt, l’âme qui l’habite gagne pour l’éternité le ciel. La taupe ne savait si ce qui se disait chez l’ennemi était aussi valable chez le siens pourtant un bleu espoir la guidait. Bientôt nuage, elle retrouverait papa taupe, maman taupe et les frangins morts de façon injuste.



Lorsqu’elle atteignit finalement la zone de remous, là où les pleurs de la pousse ennemie avaient fait de la terre, gadoue, la taupe noire avait à peine entamé ses réserves physiques. Pour dire, la guerrière qu’elle était devenue. Dans la boue la difficulté s’amenuisait. Les griffes au repos, la taupe noire se frayait un chemin vers les racines du mal. Et derrière un ultime bloc de terre elle trouva l’origine des souffrances animales. Environ un mètre plus haut, l’enfant était loin de se douter que sa victoire récente contre le grand corbeau n’avait pas mit un terme aux hostilités. Péniblement il tentait de récupérer quelques forces mais ce n’était pas si aisé. Ses deux combats l’avaient transformé. Il n’avait pas assez de recul pour s’en rendre bien compte mais il était changé. Son visage s’était affermi et en bien peu de temps il venait d’être confronter au moteur du monde : la haine conquérante. Et comme si l’instinct de ses deux proies à terre l’habitait maintenant il savait qu’il devait se maintenir en état d’alerte. Et les yeux grands ouverts il cherchait le sommeil. Il apprenait aussi à gesticuler et à maîtriser ses deux bras qu’il avait extrait du sol. Il dessinait des formes insignifiantes avec un certain talent puis tentait de saisir ce qui traînait à terre. Ce n’était pas simple mais il savait que ces bras étaient des armes redoutables. Arms are armes. Avant que la taupe noire n’attaque ses racines, l’enfant découvrait la jouissance de la victoire. Il avait réduit deux êtres farouches à néant. Lui-même avait souffert et son visage était encore bien douloureux mais tellement plus fort et il se savait capable de lutter pour sa survie. Puis ce fut comme si une fonction vitale fut d’un coup d’un seul privé d’oxygène. Pas assez ravitailler elle passait sur sa réserve en déclenchant le signal d’alarme. Le système était rodé faut croire car le signal chemina sans faiblir jusqu’au cerveau de l’enfant qui pour riposter demanda aux cordes vocales d’hurler à s’enflammer. La morsure de la taupe noire n’avait pas fait dans la demi mesure. Elle serrait des crocs et l’enfant battait la gueule. La taupe noire s’accrochait fermement aux racines de l’enfant et commençait à les mastiquer avec un réel entrain. Elle allait bientôt les déchirer. La souffrance quant à elle, infiltrait la sève vitale, remontait et passait la croûte terrestre sans jamais s’amenuiser puis venait envahir les veines toutes neuves. Oh comme cette torture était odieuse. Les élancements du supplice provoquèrent comme une série de spasmes irréguliers chez l’enfant. Ses mouvements étaient saccadés et la tête déjà abîmée par les rudes combats précédents commença à heurter avec violence le sol. Bing bang la rythmique sanglante était épileptique. Ces blessures s’infligeait à l’enfant comme autant de leçons dont la principale était que l’ennemi surgit d’où on l’attend le moins. Comme un excès de naïveté. Et la taupe noire ne démordait pas. Elle s’accrochait à ces racines comme si elle avait été suspendue au dessus d’un précipice mais il n’en était rien c’est elle qui organisait le jeu. Les yeux globuleux de l’enfant se laissaient envahir par le sang qui cherchait à s'enfuir de ce corps qui allait perdre la vie. Le sang poussait et les yeux allaient sans plus tarder quitter leurs orbites pour venir s’écraser à même le sol. La radieuse beauté du monde devenait, à mesure que le champ de vision de l’enfant diminuait, terne et plate. Dans un mouvement d’abandon, le buste entier de l’enfant se laissa choir contre la terre. Affaibli il ne trouvait même plus la force de couvrir de ses paupières ses yeux. Aussi il vit venir le coup fatal. S’approchant à grandes enjambées il distingua un étrange animal qui venait pour l’achever. L’enfant quasi-inconscient ne savait pas si tout cela était bien vrai... En effet celui qui allait porter l’estocade était un animal dressé sur ses pattes et bien peu poilu. Oui il y avait un quelque chose d'irréel dans cette scène. Un enfant-tête planté dans une prairie, une taupe vengeresse qui se délecte de ses racines et maintenant ce drôle d'animal bipède qui avance. Et lorsqu’il se fut rapproché l’enfant-tête entendit les cris de son tueur puis sentant son propre corps se disloquer l’enfant-tête s’évanouit...




... to be continued

la suite sera normalement en ligne mercredi 25 juillet

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