lundi 11 juin 2007

Partie 2 - Chapitre 2 – À l’orphelinat attendre

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Je ne croyais pas aux histoires de cigognes. Dommage car à l'orphelinat, les gens, ils aimaient à raconter des idioties aux enfants. Mais enfin pourquoi les adultes doivent-il toujours exposer leur connerie aux enfants... Sommes nous à ce point stupides et dénués de bon sens que le désir d'empathie des adultes vire à crise obsessionnelle de débilisme aiguë? Ces mensonges me lassèrent vite, j'avais envie de maturité chez ces adultes. Qu'ils soient un peu plus adultes en quelque sorte... j'y arrivais bien moi, petite Carol-Anne que j'étais, alors pourquoi pas eux. Il faut dire que j'avais remisé au placard ma phase naïve et innocente depuis déjà de longs mois aussi je ne comprenais pas bien l'entêtement des grands à jouer les copains de bac à sable. Et dans ce monde merveilleux où les adultes sont des cons, c'étaient les femmes qui avaient en charge la diffusion de la connerie. Le sale rôle en quelque sorte. Elle se devaient de répartir les mensonges équitablement entre tous les gamins que nous étions. Et cela commençait avec la grande question de la naissance. Parce que ma mémoire était défaillante elles me contaient des boniments pleins de méchanceté dont la teneur était proche de celle-ci:




« tu sais ma petite, à la naissance, c'est la cigogne qui est chargée d’offrir des parents aux nouveaux-nés. Elle survole la région et lorsqu'elle repère une maison elle ralentit et dépose l'enfant dans la cheminée. Son rôle s'arrête là. Elle n'est aucunement missionnée pour suivre l'éducation de l'enfant et encore moins pour vérifier l'occupation ou non de la maison choisie. Fort heureusement les nouveaux-nés sont pour la plupart d'entre-eux déposés dans des maisons habitées mais parfois il arrive que la baraque soit vacante. Oh! ne sois pas surprise Carol-Anne il arrive aussi que l'enfant se retrouve, à la manière d'une grosse pintade, dans une cheminée qui crache flamme sur flamme. Et l'odeur de sa peau qui fond à quelque chose d'horrible qui s'en va imprégner les murs pour des années. Alors estime toi chanceuse jeune fille. D'une part tu n'es pas tombée dans une cheminée en flammes mais en plus nous t'avons recueilli. Sais-tu ce qui se serait passé si nous ne t'avions pas ramassé dans ta maison vide? Et bien crois-moi tu te serais détruite en puisant dans tes faibles réserves et puis tu te serais regardée mourir dévorée par un animal errant, un chat un chien ou un rat. Et des années plus tard quelqu'un aurait trouvé par hasard ta petite carcasse poussiéreuse et y aurait mit un coup de pied sans même y porter attention. Alors si à présent tu vis ici dans cet orphelinat, c'est qu'en effet ta maison était inoccupée... et que veux-tu que je te dise d'autre... J'sais pas. La prochaine fois exige de ta cigogne un justificatif d'occupation. Une quittance de loyer fera l'affaire. Un certificat de ramonage récent aussi."




Oui l’un des premiers mensonges inventé par les grands concerne la naissance des bébés. À mon entretien hebdomadaire avec le Docteur je lui posai la question. "Dites Docteur, pourquoi est-ce qu'ils sont comme ça les gens? Pourquoi est-ce qu'ils pensent que nous sommes stupides. Cette semaine la grosse dame, oui celle là Docteur, celle qui me fait les piqûres pour que je dorme mieux la nuit, elle m'a dit que c'est une cigogne qui m'a posée sur cette terre. C'est du n'importe quoi pas vrai? Faudrait p'têt que vous la receviez pour un entretien elle aussi. J'crois qu'elle en a plus besoin que moi?"




Le Doc. il me regarda puis il abandonna sa posture figée. J'étais toute recroquevillée dans le fauteuil de son bureau et lui me surplombait. C'était un homme trapu, un vieillard d'environ trente ans, dont le regard était une arme capable de tuer d'un seul battement de paupière m'avait-on dit. Il souffla un grand coup, retira ses petites lunettes de son nez, posa ses deux coudes sur son bureau et attrapa sa tête des deux mains. Il s'accorda quelques secondes de réflexion avant de me répondre. Je crois que pour une fois il avait envie d'être gentil avec moi. Et sur le ton de la confidence il me confia:



"Tu sais Carol-Anne la pénétration est le sujet que l’on tait aux enfants. On se dit que cela pourrait surprendre et peut-être même choquer un enfant s'il se savait sorti d’une misérable bite. Alors la cigogne pourquoi pas... Ce n'est pas plus risible en fin de compte que de croire qu'un ange fourre le mioche dans le coeur des mamans. Et puis tu sais ce n'est pas bien glorieux un rentre-dedant. Les pattes en l'air, ça glisse, ça couine, ça beugle et dans bien des cas cela s'apparente plus à un acte de violence qu'à une tendre union. Alors ne nous en veux pas trop de te raconter ces sornettes et contente toi de les prendre pour ce qu'elles sont, de jolies inventions, et n'en exige pas plus."




Ainsi pour ne me pas choquer ils m’ont menti. Et maintenant le Docteur me demandait d'accepter cette situation parce qu'après tout "c'est comme ça que fonctionne le monde, tu n'es qu'une gosse et que si tu veux refaire le monde ben tu auras tout le temps de le faire quand tu auras tes dix-huit ans mais en attendant et ben le monde il est comme il est et que tu l'acceptes ou non tout le monde s'en fout alors tu ferais mieux de l'accepter car il ne changera pas pour toi." Putain... C’était comme ça, c’était l’orphelinat. "Car aujourd’hui tu es sans famille jeune fille."



Mais cela n'allait pas durer. La petite fille abandonnée sentait le vent tourner. Bientôt elle serait une ex-orpheline. Car dans cette maison froide qui semblait nous haïr se bousculaient les couples désireux d’enfant. L’adoption était à la mode. Comme s'il s'agissait d'acquérir un animal de compagnie les futurs parents nous mesuraient, nous pesaient et nous questionnaient. Une santé fragile était la pire des choses. C'était comme de se voir condamner à un enfermement perpétuel dans l'enceinte sinistre de l'orphelinat. Aucune chance d'en sortir car aucun parent n'avait envie d'un enfant malade. Après tout nous étions des investissements. Qu'il fallait rentabiliser. La dame chargée de ma vente - une négociatrice dont la médiocrité m'attristait - ne se préoccupait guère de mon avenir puisque constamment, avec sa fichue manie de s’en remettre au tout-puissant, elle me marmonnait à l’oreille « tu es tellement belle Carol-Anne, qu’on te donnerait le bon dieu sans hésitation. ». Et moi, bien que je ne saisissais pas vraiment ses propos j’attendais patiemment à ma place le venue du seigneur en question. Ici ce bon dieu était quelqu'un très en vue. Tout le monde disait du bien de cet homme alors j’espérais qu’enfin la chance me fasse un clin d’oeil. De ce seigneur j'avais déjà vu le portrait. La seule chose que je souhaitais c’était qu’il ne se ramène pas tout mal habillé comme la fois où il s’accroche sur une croix. Un vieux slip et une couronne en épine, ça l’aurait pas trop fait ici. Je préférais qu’il vienne incognito avec des lunettes de soleil, comme ça le christ il aurait été à moi toute seule et les autres seraient pas restés traîner autour en lui posant mille questions débiles comme de savoir pourquoi c’était lui dieu ou comment il faisait pour transformer le vin en vinaigre. Non, le dieu il serait entré dans l'orphelinat, il m'aurait regardé et dès qu’il m’aurait choisie, je me serais levée et je serais partie avec lui. Parce que ce moment risquait de poindre le bout de son nez d'un jour à l'autre, je maintenais mon dortoir dans un ordre rigoureux. Tout y était parfaitement rangé. Et pas un bout de tissu n'osait dépasser d'un tiroir.



Dans l'enceinte de l'établissement on s'affairait. Les couloirs aux peintures écaillées et à l'éclat lointain semblaient prendre un malin plaisir à regarder déambuler des parents qui n'en étaient encore vraiment. Chaque jours ces couples porteurs d'espoirs s'engouffraient dans les allées de l'orphelinat avec pour unique souhait d'entrer à deux et de sortir à trois. Ils venaient ainsi à ma rencontre et s'intéressaient à moi et à mon quotidien. Ils étaient gentils mais gentil ce n'est pas suffisant ce n'est pas Chrétien. Moi je leur répondais comme je pouvais, en essayant de leur faire plaisir et de leur être agréable mais les semaines défilaient et moi je demeurait. Dieu tardait à se présenter et je ne lui pouvais en vouloir. Après tout ce devait être un homme bien occupé et je n’avais pas grand chose à lui offrir malgré ce que la commerciale de l’orphelinat sous-entendait. Ce qui m’était encore plus pénible c’était de voir mes camarades se faire adopter les uns après les autres en me laissant ici comme une cloche. Je vivais cela comme un deuxième abandon. Les garçons avaient beaucoup de succès malgré leurs caractères de cochons. Geoffroy avait été acheté par un homme très riche et Rufus par un policier. Acheter des gens, c’était une vieille habitude des policiers m’avait appris la maîtresse. Eudes par contre semblait difficile à vendre et moi je trouvais ça plutôt embêtant car il venait toujours donner un coup de pied dans mon jeu de cartes alphabétiques fraîchement disposé en cercle. Je prenais mon mal en patience et puis il y eut ce jour, il y eut cet homme. Alors que la classe touchait à sa fin et que nous nous apprêtions à aller prendre le goûter, un monsieur vint à ma rencontre. « Bonjour Carol-Anne, comment vas-tu ? ». Sa voix grave et pleine de solennité bloqua ma respiration. Il y avait autre chose cependant. Un quelque chose qu'il m'était difficile de définir. Comme si chacun de ses mots était prononcé avec un amour absolu. Je sus que c'était celui que j'attendais. J'étais subjuguée et bien incapable de lui répondre. Alors je me contentai dans un premier temps de multiples hochements de tête en guise de réponse. Il me souriait. Puis, tandis qu’il commençait à se présenter à moi, je l’interrompis. Il s'agissait de le tester cet inconnu qui n'en était pas vraiment un.


  • Stop. Dis moi monsieur où elle est ta femme ? D’habitude tous les gens qui viennent me voir sont en couple… y'a comme quelque chose qui cloche avec toi.


Nullement décontenancé il y alla de son petit regard charmeur et rétorqua:


  • Oh bien sûr où avais-je la tête ! figure-toi qu’elle est clouée au lit suite à une vilaine grippe

  • C’est vrai ça, monsieur ?

  • Croix d’bois, croix d’fer si j’mens j’vais en enfer.


C’en était trop. Je venais, il est vrai grâce à son aide, de percer le mystère qui entourait sa venue. Le doute n'était plus une option, c’était Lui, c’était Dieu. L’Auteur, le Créateur, la Cause universelle, le Grand architecte, le Très haut, le Verbe, tous ces noms ne formaient qu’un et un seul être et il se tenait devant moi. Sûr, c’était un moment divin. De nouveau je restais muette, dévisageant l’Unique. Comme prévu il avait assuré et n’avait pas mis son slip en évidence. Il était tout à son aise dans son costume sombre. Sa chemise ouverte laissait deviner la chaîne qui cerclait son cou. Le pendentif argenté représentant la croix du Christ n’était qu’un signe de plus, venant confirmer la certitude de sa présence. Et, dans ces circonstances, l’inscription INRI gravée sur la croix était comme un gage d’authenticité. Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum. L’on venait de m’offrir un nouveau père. Je serais la fille de Dieu.










... to be continued

la suite sera en ligne mercredi 20 juin

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