mardi 5 juin 2007

2ème Partie - Undercorps - Chapitre 1 - Graine

.
.
.







« Maheo, le Créateur, prit de la boue et modela une personne, puis il souffla dans sa bouche ce qui lui donna la vie. Autrefois les Cheyennes vivaient sous terre dans une grande caverne, quand un jour ils aperçurent la Terre au loin. Ils découvrirent une ouverture et sortirent sur la Terre… »

Prophétie du Cheyenne Sweet Medecine



"On pourrait bien dire, si l'on voulait, que chacune de ces graines avait sa destinée, qui était de germer, de pousser, de devenir arbre à son tour, et que cela n'arrive peut-être pas à une, pour un million de graines qui pourrissent."

Alain, Propos, aimer ce qui existe






Chapitre 1- Graine



Du temps s'est écoulé,

du sang s'est infiltré...

Et débarrassée de ses galères,

c'est l'histoire sous terre

qui recommence.

À moins qu'elle ne commence...



Mauvaise graine. C’la aurait pu être son nom. Un nom sans Saint. Mais peu importe car cette graine n’était pas l’enfant de Dieu. Sa conception? pas de tendre union, pas de chaleur moite, pas de pénétration calculée de manière astrale et zodiacale, pas de mère transpirant le sperme depuis la paume de la main jusqu’au-dessous des seins, pas de père satisfait à l’ouvrage fier de son rentre-dedans gagnant, pas d'accouchement à bide ouvert non plus, non rien de tout cela. La graine était là, comme ça, et c'était déjà ça. Dans un champ ou dans un pré, elle était recouverte par les couches successives de la terre. Desquelles en surface respiraient de hautes herbes et desquelles émergea un beau jour le fruit de la mauvaise graine.



Car au commencement était la graine. Et quand les sangs mélangés coulèrent et pénétrèrent la terre, elle se forma. Elle était semblable à un p'tit caillot de sang. Craintive, mais futée, la graine s’était alors faufilée pour se mieux terrer. Et après une longue descente dans les profondeurs de la terre à la recherche d'un abri idéal elle élut refuge sous une roche épaisse. Loin de tout et de tous, elle y resta si longtemps qu'elle en oublia tout ce qui, au-delà du niveau du sol, s’était auparavant produit. Troglodyte, ermite, elle en savait tant sur ces modes de vie qu'à coup sûr elle eut épaté le jury à l'examen final d'ethnologie si les graines avaient eu le droit de s'y présenter. Malheureusement, à se couper ainsi du monde la graine s’était laissée mourir à la manière d’une fleur se regardant faner. D’ailleurs, elle y avait presque réussie. Rejetant ainsi sa propre nature, celle de germer, de faire apparaître, de donner la vie... Mais peut-être savait-elle qu’elle-même n’était pas issue d’une fleur mais d’un mélange des sangs. Qui caillent et qui caillent. Alors quoi d'étonnant à ce que comparée à sa caillasse d'abri la pauv' petite graine sembla la plus morte des deux.



Pourquoi les mauvaises herbes se laissent-elles pousser ? Peut-être pour permettre aux autres de se mettre en valeur, peut-être par méchanceté, peut-être avec l'espoir qu'un coup de soleil salvateur les illuminera et leur apportera la bonté dont elles se sentent si dépourvue, peut-être parce qu'elles ignorent tout de leur mauvais caractère. Ou alors c’est la vie et c’est comme ça. Notre graine, consciente d'en être une mauvaise refusa sa vocation, sa reproduction, sa germination et sa pousse. Dotée d’une formidable conscience d’elle-même, elle écarta l'idée de s'ouvrir au monde préférant se terrer sous une pierre. C’est dommage mais comme le coup droit, la conscience a son revers. Aussi, proie facile du doute, la mauvaise graine se suffit de son sort. Un peu dépité, démunie d'ambition et sans aucun désir affiché de développement personnel elle se contenta d'une vie de recluse et d'observatrice. En retrait elle épiait l’étrangeté de la vie qui régnait sous terre. Des milliers d’êtres qui peuplaient et remuaient ce sol. L'observatrice n'était aucunement aventurière et jamais elle ne sortait de son rôle. Devant elle, ses impudiques congénères s’adonnaient à la luxure reproductive puis se transformaient et une simple graine se muait en ce que dame nature avait derrière son labo concocté comme destin. Ce petit jeu ne pouvait que perdurer car ainsi est le processus du mouvement perpétuel, il annihile les velléités de l’immobilisme.



Un jour – et bien que la notion de jour soit très abstraite lorsque l'on vit sous terre - une graine s'installa aux côtés de notre mauvaise graine et les choses changèrent. Oh il y avait de la place sous la roche, là n'était pas le problème. En fait la nouvelle venue n'était pas n'importe quelle graine. Vieille et usée elle avait sous terre le respect de tous. Elle était l'Oracle des profondeurs. Alors la mauvaise graine qui jusqu'alors s'était contentée de toiser son monde, écouta les paroles de la Seed’s prophecy.



« J’ai lu dans ta carapace, je sais que c’est la peur qui t’habite et non pas un rejet de notre communauté. Je te vois résister à ton devenir mais tu fais fausse route, crois moi... Je t’aiderai car je t’ai attendue depuis toujours, toi, la graine, différente de toutes les autres, unique. Tu te cherches sans te trouver, tu t’interroges sans solutionner, tu te caresses sans te reproduire mais cela n’a qu’assez duré alors crois en moi car oui je ne suis qu’une parmi les autres mais je suis l'Oracle dotée du don d’écoute et j’écoute et j’écoute puis je parle et je parle avec un moindre talent certes puisque aucun mot ne pourrait retranscrire ce que l’on me confie. Je sais que tu n'es pas une mauvaise graine je sais que tu as un destin et qu'il est grand. Depuis toujours les graines deviennent des plantes. Je m’assieds sur leurs racines et j’entends l’intensité de ces nouvelles vies. Ces sons qui me pénètrent, évoquent continuellement la joie de l’évolution, le bonheur de chaque instant. Et aux dires de ces plantes il est quelque chose de merveilleux qu’elles nomment parfois lumière, parfois clarté, jour ou encore soleil. Je ne le sais expliquer mais cette chose semble être la force de tout. Vois-tu, il y a fort longtemps, comme toi j’ai refusé ce que le monde m’offrait, convaincue de la souterraine beauté et je sais aujourd’hui que j’ai eu tort. Je ne sais pas à quoi ressemble exactement le monde supérieur mais les contours que je devine me feront regretter à jamais mes erreurs de jeunesse et je suis aujourd’hui bien trop usée pour susciter le regard et bien trop vieille pour croire en une fécondation, je suis donc condamnée à errer ici bas professant ma bonne parole à quiconque m’accorde son temps, alors pour toi, pour moi, fais le, réponds aux appels incessants que te fait la vie, laisse toi aller et pousse. »



Sur ces mots la graine prophète s’éloigna, replongeant ainsi la mauvaise graine dans sa solitude. En elle, les mots bonheur, soleil, merveilleux, faisaient leur petit bongrain de chemin, et parce qu’ils ne rencontrèrent que peu d’opposition, ils finirent par convaincre la petite graine de devenir ce à quoi elle tendait. Excitation, reproduction. Et c’est sans vraiment connaître les choses du sexe que la petite graine s’acquitta de sa tâche, seule, comme les prémices d’un futur social maussade.










... to be continued

la suite sera en ligne mercredi 13 juin

Aucun commentaire: