mercredi 4 avril 2007

Chapitre 8 - Dialogue de sourds et bricolage facial

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Une fois, je m'en rappelle encore, je n'ai pas mangé de carambar. De ce non-plaisir je me souviens surtout du papier jaune et rouge qui enveloppait la barre caramélisée infecte. Car à l'intérieur y était inscrite une non-blague. Maman Bourreau et Papa Bourreau sont dans un bateau. Papa Bourreau tombe à l'eau. Qu'est-ce qui reste? Maman super Bourreau. Personne ne rit, tout le monde est déçu? N'avais-je pourtant pas prévenu qu'il s'agissait d'une non-blague... Oui, Lui mort, Elle devint une tortionnaire à temps plein. Et si j'avais espéré un court instant qu'une fois reine sans roi de notre royaume elle se serait apaisée et bien une fois de plus je m'étais fourré le doigt dans l'oeil. Non non non les enfants, hors de question, dorénavant ce sera violent et sans adoucissant pour vos p'tites gueules d'anges. Tenez vous le pour dit.... Allez hop un bisous pour maman et dodo. J'vais bien vous veiller... oh que oui j'vais bien vous (sur)veiller... Sa mort, celle de l'homme, et c'était 25% de notre groupuscule qui partait en couille et pas n'importe quel quart non, celui d'un des leaders. Elle qui devenait de fait l'unique garante de l'autorité parentale adopta alors d'étranges comportements. Les choses n'allaient pas tarder à changer. Elle commença tout d’abord par faire disparaître tout objet susceptible d’évoquer le défunt. Vêtements, photographies, tout y passa. Un passé emporté par les flammes. Bien entendu le bijou de ferraille du père tout aussi amoché que son propriétaire dans l'accident de circulation ne fut pas réparé. Et où ranger un bijou sans éclat et à pneus lisses sinon que dans une casse... Alors broyé, déchiqueté, concassé puis pillé, le symbole de la réussite de celui qui se prétendait notre père fut réduit à un cube de tôle. Pour Michèle comme pour moi la règle était claire. Nous avions interdiction de faire revivre le paternel. Que ce soit dans nos pensées ou dans nos dires. Si notre mère avait pu l'effacer de nos mémoires elle ne s'en serait pas privée. Ce n'était pas nécessaire car moi, sa mort ne me perturbait pas. Au contraire elle m'accommodait. J’étais orphelin de père et je le vivais bien. Au début. J'espérais les années sombres de notre histoire derrière nous. Et conséquemment il ne s'écoulait pas une journée sans que je sois à l'affût des prémices d'un avenir radieux. Je ne demandais pas grand chose. Même un soleil pâle m'aurait contenté. Je voulais mener une vie simple. Prendre un bol de nesquik au réveil, aller à l'école en sifflotant, jouer à la balle avec des copains... Mais pour nous ces banalités étaient interdites. Une perpétuelle éclipse. Et derrière l'obscurité, pas de soleil, juste ses grands yeux à Elle sévèrement pointés sur nous. Ils nous guettaient et en cas de faux pas on entendait s'élever dans notre dos le son de la punition et ça faisait tchak tchak ggrrrr... tchak tchak ggrrr... Putain ce que j'ai détesté l'adolescence. Quand d'autres soufflaient les bougies de leurs printemps heureux, nous, nous éteignons les brasiers de nos hivers rugueux. Oulala mais ça te fait quel âge mon petit? / Je sais pas / déjà! et bien ça grandis à une vitesse y s'ra bientôt plus haut que sa maman chérie... / Je sais pas / Vas y va souffler tes bougies montre qu'on est une famille heureuse / Je veux pas / Viens ici Michèle ton frère ne veux pas t'aider tu vois il est méchant / (Un jour viendra où de toi on s'occupera) / Allez dépêche toi Carol la cire coule sur son petit cuir... et les cheveux de ta soeurette vont vraiment commencer à sentir le roussi / Espèce de folle / Et si ça sent mauvais dans la maison c'est qui qui va devoir aérer ? C'est moi.... et qu'est-ce qui me met en colère par dessus tout? / de réparer nos bêtises / Bravo il a tout comprit le petit idiot... Une peste de fille qui joue à Jeanne d'Arc et son frère trop lâche pour lui éteindre le crâne... pfff qu'est-ce que je vais faire de vous... Alors il a toujours envie de mettre sa maman en colère? / Non il a pas envie Madame. Dix, douze, quatorze printemps... autant d'hivers. Série en cours. Je n'étais plus le protégé de la Mère. Il n'y en avait plus. D'ailleurs l'avais-je vraiment été un jour? Pendant mon époque "messager" elle m'avait cajolé mais n'était-ce pas là un moyen de préserver l'outil de transmission que j'étais? À présent elle me regardait comme un coupable en puissance. Je supposais que c'était là une logique de guerre. Lorsque l'ennemi est à terre, le vainqueur oublie vite les alliés. Chez nous l'ennemi était mort. Si je ne disais rien elle me dévisageait en cachottier que j’étais. Et si je parlais elle m’accusait de comploter dans son dos. C'était fatal, oui, tout est fatal.



Pendant un temps la maison sembla plus calme qu’un monastère de moines muets. Michèle avait sombré dans un mutisme complet. Le « crève salopard » radical lancé par la mère au père n'en finissait pas de tourner dans son crâne. Tout comme moi Michèle était convaincue de la toute puissance mentale de la Femme qui régnait à présent en maîtresse absolue. Alors elle se sentait en danger permanent. Une personne à même de tuer par la simple force de l'esprit représentait un danger à sa survie. Et si l'on considère que celle qui donne la vie à une autorité légitime à la reprendre alors oui le danger était réel. Comme s'il s'agissait de se faire oublier Michèle s'appliqua à développer une stratégie du silence absolu. Plus de phrases, plus de mots, plus de syllabes. Elle se contentait de regards quémandant l’expiation de fautes qu'elle n’avait pas commises. Michèle s'effaçait jour après jour. Je pensais à une quête de transparence. Ne plus être... puis disparaître. Je la contemplais et me souvins de ces quelques phrases de M. Pérec : "... Une vie immobile, sans crise, sans désordre: nulle aspérité, nul déséquilibre. Minute après minute, heure après heure, jour après jour, saison après saison, quelque chose va commencer qui n'aura jamais de fin: ta vie végétale, ta vie annulée." Ce n'était pas un caprice d'adolescente. Il ne s'agissait pas de se taire pour calmer une migraine tenace. Non tout cela était calculé et s'inscrivait dans la durée. À moi non plus Michèle ne parlait plus. Le lien intime qui s'était tissé entre nous s'effilait. Et cela m'était d'autant plus difficile que je n'arrivais pas à inverser cette tendance. J'étais acteur de la pièce de notre vie mais à l'instar de l'intervention d'un spectateur mes agissements n'avaient aucune influence sur le déroulé du scénario. En vain j’essayais de renouer le dialogue avec ma sœur. Après l'école, pendant que nous bûchions sur nos devoirs, je feignais de ne pas comprendre tel ou tel problème mathématique et en appelait à son aide. Systématiquement je me heurtais à un mur. Elle accompagnait son regard de désolation d'un mouvement d'épaules qui disait non. Et le soir, une fois dans notre chambre, elle demeurait insensible aux taquineries et aux pitreries qui la faisaient rire quelque temps auparavant. Jamais je ne lui en voulais, je la savais malheureuse. Mais j'insistais et quotidiennement la bombardais de questions. Une autre fois, pour attirer son attention, j’avais mis en scène, un accident spectaculaire dont j’étais la victime. Pas de quoi émouvoir un bourreau mais pour les enfants que nous étions encore, cela était brutal et sanglant. Il y avait sur le terrain adjacent à notre maison un énorme chêne. Robuste, à la circonférence impressionnante et couvert d'un branchage fourni et épais je savais qu'il était le roi des arbres. Loin de la forêt il vivait un exil forcé, peut-être un réfugié politique... Parfois c'est ce que je me disais. Et puis le lendemain je décidais que ce n'était pas un exil mais une prise de recul. Est-ce que les rois du moyen-âge se mélangeait à la populace... Non et bien mon chêne leur était semblable. Il surveillait son royaume de loin. Et puis le lendemain, nouveau renversement, je soupçonnais mon arbre d'être tel un lama Tibétain, un espèce d'ermite ayant fait le choix d'une vie de reclus et d'austérité. Mais qu'importe, toutes ces vies étaient vraies, puisque je l'avais décidé, et elles se juxtaposaient avec simplicité. Je l'aimais cet arbre et derrière ses ramifications j'étais protégé de tout. Alors pour fuir la pression maternelle j'y grimpais et m'y réfugiais. Le jour du faux accident, caché en son sommet, dans la cabane que je fabriquais, je m’enfonçai volontairement d’un puissant coup de marteau une pointe dans la main gauche. Quelque chose se brisa... sous les yeux de Michèle. La pointe rouillée pénétra mes chairs et déchira au passage quelques cartilages osseux. Il y eut un son. Le choc brutal me fit perdre l'équilibre. Je chutai. (Michèle, écoute celle-ci: comment faire pour tomber en silence? Il suffit de faire.... une chute chut! Tu ne ris pas? Alors ensemble écrivons au service consommateurs de Carambar. En attendant la mienne de chute sera bruyante... ) Je fus projeté au sol et m'explosai contre la clôture grillagée. On aurait dit un sac de ciment, un gadin toute en finesse inversée. Il fut suivi d'un éclat. La main ensanglantée, les jambes explosées en de multiples endroits, j’étais groggy à terre, le sac se vidait de son ciment. J'espérais une réaction vive de ma soeur mais bien que paniquée, Michèle ne prononça aucun mot. Elle m’examina rapidement puis s'en alla prévenir notre médecin traitant sans autre dramatisation inutile de l'évènement. Cet exercice de style me coûta, en sus de l'interdiction d'aller jouer avec mon ami l'arbre, un séjour aux urgences et de lourds pansements sur la main. Mais un mois plus tard, mes doigts repliés formaient toujours un poing.



Notre calvaire vira alors à l'absurde. Puisque sous notre toit groupusculaire nous n'avions rien à nous dire il nous fallait trouver une manière de ne pas se le dire. Tandis que Michèle avait comme scié ses cordes vocales, la mère déboussola complètement et se mit à conjuguer dans une langue qu'aucun de ses parents ne lui avait enseigné. Des réminiscences hispaniques d'un passé scolaire lointain firent une apparition soudaine dans son parler. Elle connaissait certaines phrases usuelles, elle inventait le reste, les expressions comme les intonations. D'abord ponctuel, son espagnol approximatif s'imposa petit à petit pour finalement représenter la totalité de son discours. Ni moi ni Michèle ne connaissions cette langue. Mais je savais que la mère ne maîtrisait aucunement l’anglais. Alors en réponse à mi madre, j’optai pour cette langue que j'étudiais en classe. Les bases m'étaient familières, il me restait qu'à broder autour. Et nos conversations devinrent incompréhensions. Le monastère de moines muets venait d'être rasé et dans la foulée remplacé par un camp de forain. Ma mère huchait en espagnol, je lui répondais en anglais et Michèle restait muette. Pour multiplier ses expressions la mère s’était rendue dans la maison de presse locale afin de s'inspirer de la presse internationale. Elle choppait ainsi des expressions qu’elle ne comprenait pas. Elle mixait le tout et braillait le résultat à qui voulait bien l'entendre. Les significations n'avaient aucune importance puisque sans traducteur l'auditoire que je formais avec ma sœur ne saisissait pas un le moindre mot. Et cela donnait des conversations animées proches de celle-ci :


Elle – Hijo, Hija, vamos à ver el dia en imagenes. Que bellisimas fuerzas de securidad. Valle, valle, me voy a desactivar un artefacto explosivo.


Moi - Good mummy but have you ever seen a red vaccum cleaner eating frozen potatoes ?


Michèle - ….


Elle – ¿ que dice ? cincuentas balenas de 11 anos se masturba habitualmente con tres futbolistas que encallan en un plato de sopa.


Moi – god. My pajamas smokes by scolding a television serial. Nevertheless the dog is shy when the swimming pool accepts only water lilies.


Michèle - …


Aux yeux de certains ce désordre linguistique ressemblait à une comédie, mais pour nous qui en étions les acteurs, il s’apparentait à une tragédie. Toujours hurlé, il semblait nous entraîner dans un univers de non-sens où tout entendement, tout volonté de s'accrocher à la raison, se devait d'être déposés avec les godillots dans le hall d'entrée. Enlève tes chaussures boueuses en entrant s'il te plaît je ne voudrais pas que tu salisses la moquette. Et pis enlève aussi ton bon-sens je ne voudrais pas que tu entaches mon esprit avec tout ton intellect dégoûtant. Enfin c'est ce que je croyais comprendre lorsque je traduisais dico de voyage à l'appui le "Quitar estos zapatos sucios para no danar mi alfombra cabida. Y tambien tu alcohol malsano que da para arriba podria descomponerse mi cerebro." qu'elle adressait aux rares visiteurs qui franchissaient le pas de la porte... Visiteurs qui d'ailleurs ne lui obéissaient pas puisque à peine entrés ils entamaient un virage à 180° et sans excuse s'enfuyaient sans plus jamais se retourner.



Mais ce n'était pas suffisant devait se dire la mère. Les mots génèrent des blessures, nous sommes bien d'accord, mais ces blessures restent invisibles à l'œil. Alors les choses se devaient d'évoluer car cela manquait cruellement de sang. Elle chercha et trouva un moyen de nous blesser plus en profondeur. Nous le portions sur le visage. L'adolescence. Nous étions jeune mais déjà en âge d'afficher des faciès de laiderons. Je me réveillai un matin avec une sensation nouvelle mais obscure au milieu du front. Je passai une main timide juste au dessus de mes sourcils et constatai qu'une espèce d'excroissance avait prit possession de mon front pendant mon sommeil. Je me levai et me précipitai vers la salle de bain. La miroir révéla un gros point noir. Je le regardai pendant un long moment. De face puis de profil. On ne voyait que lui, il clignotait. Sans trop oser je le touchai du bout du l'index avec l'envie de l'écorcher. Puis je fermai les yeux et les ouvrai à nouveau. Il était encore plus gros. Horreur, il se jouait de moi et venait de profiter de mon repli de paupières pour doubler son volume. Je renouvelai l'expérience et à nouveau il augmenta sa taille. Je ne savais ce qu'était ce gros bouton, mais déjà il me narguait. Et puis surtout je sentais son pus vibrant sous ma peau. Comme un battement... Et si je tendais l'oreille alors je crois me souvenir qu'il me parlait. "Laisse moi sortir... s'il te plaît Carol... je suis Comédon le prisonnier de ton front..." Oui, j'étais en train de pourrir.



Quelques jours plus tard ce fut au tour de Michèle de se réveiller avec le visage en travaux. Les boutons se répandaient rapidement sur nos ex-gueules d'anges, étendant chaque jour leur colonisation faciale. Nos peaux étaient comme un tissu bouffé par les mites. Nos délicieux visages boutonneux... Je trouvais cela infect, j'appris que cela se nommait acné. J'assistais impuissant à la putréfaction de mon front, de mon menton, de mes joues... Comme si des milliers de vers me pénétraient pendant le sommeil. Ils grouillaient, infiltraient les pores de ma peau puis éclataient mon visage. Elle, la mère, elle nous regardait. Elle épiait discrètement mais son esprit tambourinait. Dans ses yeux je lisais « Ce pus n’est pas le bienvenu ». Une mère consciencieuse eu conduit ses enfants chez un spécialiste dermatologue. Mais chez nous les problèmes de famille se règlent en famille. Alors elle solutionna. À sa manière. Et croyez-moi, pas avec un tire-comédon de professionnel. Oh que non... Une nuit, profitant de la faiblesse de l'enfant qui dort, elle fit irruption dans notre chambre. Le tchak tchak ggrrrrr... était en marche rien ne semblait pouvoir l'interrompre. Elle nous attrapa violemment puis elle nous traîna jusqu'à la salle de bain professant à tout va: « El acne mata cuando el duerme. Es necesario suffrir alli para salir. » Ses yeux globuleux injectés de sang indiquaient un état de démence avancé. Et ses paroles hurlées, sortaient de sa gueule enveloppées d'une sirupeuse bave. Un cerbère surgit de l'enfer n'aurait pas été plus effrayant. Cutter à la main, elle nous mit le visage en charpie. La lame rouillée large de trois centimètres nettoyait en profondeur. La maman chérie perçait nos cloques sans précaution. Les coups étaient infligés avec une vitesse d'exécution qui ne favorisait pas la précision mais elle n'en avait cure. Les boursouflures explosaient dans un massacre gorissime. Le pus puis le sang coulaient, formant des tranchées de larmes rouges sur nos jolis minois. Nous étions les enfants ensanglantés de la jolie maisonnée. Si j'essayais de m'extraire de l'emprise qu'exerçait sur mon cou son bras alors la lame dérapait et s'en allait découper la moitié de ma joue. Cette attaque nocturne vira au rituel bimensuel. Quand l’acné se réinvitait sur nos frimousses, nous évitions, la journée durant, de croiser la mère. Ou alors, la tête basse. Mais elle ne s’en laissait pas berner. Si elle devinait que nous nous cachions, elle savait qu’il fallait opérer. Et quand la nuit, la porte de notre chambre grinçait, nous n’étions pas surpris, juste en pleurs. Ces interventions à répétition nous abîmaient singulièrement la peau sans éradiquer notre mal. Là encore elle s’en aperçu. Sa méthode de destruction n'attaquait qu'en surface alors il lui fallait atteindre l'origine du mal. À nouveau elle chercha, à nouveau elle trouva. Tans pis pour nos faces...



Quand Noël se pointa, à la fin décembre je crois, la mère nous attendait tout sourire au pied du sapin. Depuis ce jour qui avait laissé entrer une hache et un flingue dans notre demeure, nous célébrions chaque année cette fête stupide. Enfin moi et Michèle nous la subissions. « En los problemas profundos, tratamiento radical. Mi querido bendijo a ninos. ». Elle était si impatiente de nous voir jouer avec son cadeau qu'elle nous sortit du lit vers les six heures. Ce genre d'excitation matinale n'était pas de nature à nous rassurer. Elle ne tenait plus en place, l'envie de nous voir déballer son jouet semblait la bouffer de l'intérieur. Sous nos souliers cirés pour l'occasion, se tenait le présent commun. À mes yeux c'était comme ouvrir un colis piégé. Une bombe... un cadeau empoisonné... peut-être. Un pétard mouillé... certainement pas. On le sentait il allait nous péter à la gueule et elle se tordrait de rire à s'en pisser dessus. Après avoir arraché le papier bigarré, nous reculâmes, moi et Michèle d’un même bond. Elle, elle s’approcha. En guise de présent, nous détenions une meuleuse. Oh pas une de ces merveilles technologiques dédiée au bricolage non non non, une vieille et énorme meuleuse, une de celle que l'on active à la main en tournant en rythme la manivelle prévue à cet effet. Cette manivelle entraîne alors la rotation du disque qui accélère progressivement à la recherche de sa vitesse de croisière jusqu'à devenir une arme aussi tranchante qu'une lame. L'outil n'était pas neuf comme en témoignaient les imperfections de la meule. Il avait déjà ébavuré, meulé et surfacé tant et tant de mobilier. Il en avait p'têt même tronçonné. Et puis son propriétaire soucieux de faire évoluer son matériel l'avait probablement remisé dans un garage d'étage ou dans un grenier de sous-sol. Mais pour cette meuleuse d'expérience l'heure du repos éternel n'avait pas encore sonné. Ici, chez nous, une nouvelle tâche l'attendait. Par je ne savais quel moyen la mère avait réussi à se procurer cette pièce de qualité, cet objet de collection. Un vide-grenier, une brocante, en fait de tout cela on s'en fichait. L'important après tout n'était-il pas de savoir ce qu'elle comptait en faire? Et à cette question simple une réponse évidente s'imposa: elle abandonnait son cutter rouillé au profit de cette meuleuse d'une autre époque. Définitivement les méthodes biactol ne nous étaient pas destinées.



C'était notre cadeau mais c'était son jouet. À peine avions nous déballé ce nouvel instrument de torture qu'elle s'en empara et nous ordonna de filer vers la cuisine où un petit déjeuner concocté par ses soins nous attendait. Ce genre d'attention lui était plutôt inhabituel aussi nous ne savions comment l'interpréter. C'était Noël alors un mince espoir d'accalmie flottait au dessus de nos visages tuméfiés. Et tandis que nous nous installions autour d'une table pleine de saveurs nouvelles et alléchantes, elle descendit armée de sa meuleuse à la cave. L'ambiance choco et cacao avait déjà un arrière goût de merde... Nous ne le savions pas encore mais cette cave allait sous peu devenir notre nouvelle salle de bains. Une salle de bains où les marteaux et les tournevis remplaceraient les brosses et les peignes, où les clous officieraient tels des bâtonnets à oreilles et où une meuleuse gommerait les impuretés de visage. Muchacho, muchacha, vienen a la bodega encontrarme... nous invitait une vois étrangement douce. J'étais content de manger des chocos et des brioches car souvent les autres de l'école ils en avaient au goûter. Michèle aussi avait l'air d'apprécier ce petit déjeuner. Elle demeurait impassible mais à la voir s'amuser avec ses chocos je devinais qu'elle aimait bien ce moment. Descienda ahora o voy a venir a buscarles. La voix se faisait plus insistante. J'avais peur de répondre et pourtant tout en retenue je poussais un Please lets us finsih our breakfast pleeeaaassseee... Michèle s'amusait à tremper ses chocos dans son son bol de Nesquik et à admirer la lente décomposition du biscuit. Elle parla à sa manière: "....." mais elle n'avait pas les mots pour le dire. AHORA, AHORA, AHORA!!! aboyait celle qui dans sa cave attendait ses chérubins. Et puis elle monta nous chercher. La cave était sombre et froide. Une lumière vacillante laissait deviner par intermittence des murs nus et humides. Mais surtout il y avait cet immense établi au centre de la pièce sur lequel la meuleuse était fixée. La femme m'attacha sur une chaise bancale. Elle ligota aux barreaux mes poignets à l'aide d'une corde râpeuse et fixa mes chevilles aux pieds de la chaise en bois. Les liens étaient si forts qu'ils bloquaient la circulation de mon sang. Ainsi immobilisé je ne pouvais défendre ma petite soeur qui apeurée regardait sa génitrice lui tendre les mains. Elle l'opéra sans sentiment. En fait elle la charcuta. J'avais beau me débattre sur ma chaise bonne à rempailler rien n'y faisait. Elle allongea Michèle sur l'établi et la sangla. Puis dans un geste qui lui semblait déjà naturel elle appuya avec force sur la tête de Michèle afin de mettre sa peau au contact de la meule déjà lancée. Telle une sainte, Michèle accepta cette brutalité sans broncher. Elle serra les dents à s'en ruiner les lèvres mais rien de plus. Puis ce fut mon tour. J'hurlai tout ce qu'il m'était possible d'hurler. Je le faisais dans l'espoir qu'un inconnu entende ma plainte. Mais mes beuglements ne rencontrèrent pas d'oreille extérieure. Nous étions en feu. Nos visages comme des brasiers. Nous le savions. Nous allions mourir...

Ce traitement, elle nous l'infligea pendant des mois. Et puis un jour nos boutons purulents usés par les coups incessants de meuleuse, disparurent à jamais de nos bouilles meurtries. Restaient les brûlures.






.... to be continued
la suite sera en ligne mercredi 11 avril

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Salut, je travaille de nuit dans un hotel en Espagne. Boulot pas très passionant et fort emmerdant. Depuis quelques jours, je me suis mis à lire des romans sur le net. Je tiens à te dire que le tiens est de loin le meilleur que j'ai pu lire. Quand est ce que tu vas publier? J'ai l'habitude de lire sur papier et je dois t'avouer que je prefere, trouve toi un editeur, je pense que vu la qualité de ton ecriture cela ne devrai pas poser de probleme. En tout cas merci pour cete aventure que tu nous fais vivre. Vivement le prochain chapitre.