lundi 9 avril 2007

Chapitre 9 - De salon. Quand la faction passe à l'action...

.
.
.



Accaparé par les aventures comiquo-tragiques des enfants Carol et Michèle, mon attention s'était détachée de la petite dame de la boîte aux lettres. À présent elle dormait d'un sommeil de soûlarde fait de secousses spasmodiques et de brefs sursauts. À n'en pas douter elle allait en suer. Son corps serait bientôt tel une éponge trop pleine qui dégouline sans que personne ne l'essore. L'alcool ingéré des heures durant, tantôt au verre, tantôt à même le goulot, trouverait ainsi une échappatoire, à ce corps trop petit pour viser les 2 grammes par litre de sang, en fuyant par toutes les pores encore ouvertes et dilatées. Et à travers sa robe trop fine de soie sauvage, le fruit trouble des glandes sudoripares s'en irait tremper le bout de drap blanc avec lequel je l'avais couverte, conférant ainsi au vêtement de soirée et au linge de maison une même odeur rance de terre limoneuse. Des auréoles vagues se dessineraient sur le tissu luxueux que seul un pressing d'expérience pourrait envisager de récupérer sans ruiner le vêtement. Et là il n'y aurait plus de Carol pour faire les magasins et vêtir sa poupée. Ouais, je l'imaginais volontiers surmonter sa peur des boutiques pour affronter le sourire perplexe du commerçant soucieux de réaliser une vente, lorsque Carol demandait s'il était possible de n'acheter que la robe sans la Barbie ou bien encore lorsqu'il s'étonnait de l'absence de cabine d'essayage dans un magasin de jouets.



J'étais fatigué de cet appartement. À l'étroit, je commençais à manquer d'air. L'envie de rejoindre ma douce Carol-Anne me tiraillait, alors sans plus attendre je me levai et casai avec soin le journal de Carol dans l'une de mes poches. J'avais soif. Sous le tabouret se terrait une vaisselle de récup'. J'y attrapai un verre au motif d'un dessin animé suranné. Tom et Lucie tout sourire, casquette rouge, couettes oranges et oreilles pointues. Un verre d'eau et basta. Le robinet cracha son eau et je portai le verre à mes lèvres. Tandis que je me désaltérai, mon regard se posa sur le bocal rouge: ce nectar de sang destiné à la jeune postière endormie. Il devait y avoir au bas mot un litre de sang. Peut-être même un litre et demi. Je portai le volume à hauteur de mes yeux. Ce rouge épais, visqueux et adepte de mouvements lents lorsque je penchais son contenant en verre m'intriguait et m'attirait tout à la fois. Je n'avais jamais connu que le goût de mon sang, assez fade par ailleurs, et je me demandais en quoi celui de Carol pouvait être si particulier pour en devenir un breuvage quasi-mondain. Était-il coquettement salé? offrait-il une ivresse exquise? Ou ne servait-il qu'à combler le besoin nourricier d'un vampire échappé de l'univers d'une Anne Rice locale? Je tapotai de l'ongle de mon index droit l'épais verre comme l'on tapote un aquarium pour attirer à soi un poisson rouge. TOC!! TOC!! Fort et puissant. Oh merde ce n'est pas mon toc toc ça pensais-je. Un poing lourd semblait s'abattre sur la porte d'entrée. J'eus aimé prendre le temps d'analyser cette étrange concordance des tocs, entre le mien léger et inaudible et celui qui se tramait sur le palier du cinquième beaucoup plus pesant mais je n'en eus pas le temps. Car myopathe du jonglage j'envoyai valdinguer dans l'immédiat instant qui suivi ma surprise le bocal de sang dans les airs. Et tandis que le récipient tournoyait dans un indécis flottement à mi-hauteur j'eus envie d'éclater de rire à l'idée que la presque caresse minimaliste de mon doigt au verre puisse avoir généré ce gros TOC!! TOC!! Mais je n'en fis rien car reprenant ses esprits le bocal se souvint de l'existence d'une vieille loi l'obligeant à chuter lourdement vers le sol. Alors sans plus attendre il accepta avec fatalisme la gravité terrestre et s'explosa à même le lino décollé de l'appartement. Le calice se fracassa et le sang se répandit dans une hémorragie artificielle. Et pour la énième fois de la journée quelque chose se brisa... À nouveau l'on frappa à la porte. Carol-Anne. Ce ne pouvait être qu'elle. J'arrive. Malheureusement mon premier pas fut comme mon dernier. Mes pieds dessinèrent un pas de danse maladroit et s'emmêlèrent. S'ils avaient été des pinceaux, à coup sûr il y aurait eu du bon dans le mouvement qu'ils opérèrent. Vitesse d'exécution, liberté débridée et amplitude du geste, tout était dans la jetée, dans la furiosité... Je m'étalai de tout mon long dans la mare laissée par le sang. Un tesson trouva à se fourrer dans la paume de ma main gauche. Quant aux armes dissimulées à l'intérieur de mon blouson elles vinrent heurter sans ménagement mes côtes. J'en étais bon pour traîner un hématome intercostal pour quelques semaines... Assurément ce n'était pas ma journée. Je retirai la hache du blouson et me précipitai vers la fenêtre. Carol-Anne n'était plus dans la voiture. Toc-Toc de plus en plus long. « J'arrive mon bébé, excuse-moi de t’avoir laissé attendre seule. » J’approchai de la porte d’entrée maculé de sang et la main armée.



Carol-Anne m'attendait bien de l'autre côté de la porte. Mais elle n'était pas seule. À ses côtés deux agents de la police municipale. Deux flicaillons cons de bas étage. À ma gauche, celui qui semblait le plus gradé des deux arborait sans honte une moustache digne d'un Chuck Norris. Si le ridicule ne tue pas il devrait. Son pote, à ma droite, nettement plus imberbe n'avait pas de quoi pavoiser pour autant. Beur issu de la seconde génération de l'immigration il avait tout du cliché, de celui qui avait voulu s'en sortir pour ne pas aller taffer à l'usine comme son papa. Alors vendre du shit aux sorties des écoles et chouraver des mobylettes pour finir à la municipale dans un beau costume, tu parles d'une réussite. Cela impressionnait peut-être sa vieille mère mais lui pauvre garçon à qui croyait-il mentir. Lui qui s'imaginait encore qu'aller au pénal signifiait se rendre dans un pays plein de bouddhistes et qu'aller en cassation c'était amener son American Staffordshire se faire couper les couilles chez le véto. Il s'apprêtait à faire une suite de mots quand il remarqua le litron de sang qui barbouillait mon visage et la hache qui paraissait être un prolongement naturel de mon bras droit. Il posa alors la main sur son arme de service prêt à dégainer mais un regard autoritaire de son supérieur stoppa net son mouvement. "Bonjour Monsieur. Police municipale. Vous permettez qu'on entre?". Le moustachu était rodé à l'exercice de la présentation tandis que son collègue semblait être une jeune recrue. Peut-être même un stagiaire. Le chef indiqua d'un mouvement de menton ma petite Carol-Anne. "On l'a trouvé en bas, elle vous cherchait. Faîtes attention la prochaine fois,ya pas mal de lascars qui traînent dans le quartier." Je n'eus pas le temps de le remercier qu'il enchaîna. "Eh eh! Monsieur à des problèmes de rasage à ce que je vois. J'ai connu ça à une époque... Oh bien avant que je me décide à porter la moustache." Une courbe de ses lèvres révéla une évidente nostalgie de son passé. "Et si je peux me permettre de vous apporter quelques conseils, fruits de mon expérience, et bien je vous dirais déjà de changer de matos. Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur, ce n'est pas très sérieux de se raser à la hache. Non d'autant plus qu'après la sortie du dernier trois lames des laboratoires gilette vous n'avez aucune excuse. Faut sortir de votre caverne Monsieur, faut allumer votre télévision y z'ont de chouettes publicités." Je ne savais pas quoi répondre alors je leur proposai un café. Le chef regarda mon blouson. "Vous partiez peut-être? C'est qu'on voudrait pas vous retenir..." Je lui répondis "Non je ne partais pas vraiment. Par contre je n'ai plus de café. Est-ce que ça vous dérange de boire une eau chaude?" Le jeune qui jusqu'alors semblait cantonné à un rôle d'observateur intervint à son tour. "Moi j'aime pas le café trop costaud alors de l'eau chaude f'ra l'affaire Monsieur." J'attrapai une serviette qui traînait non loin de la plaque chauffante et débarbouillai de façon approximative mon visage ensanglanté. Je posai ensuite une casserole pleine d'eau sur la plaque et je positionnai le bouton du thermostat à son maximum. Le six. Ou le douze peut-être. Ou peut-être pas. "Je suis désolé, j'ai pas d'eau en bouteille mais moi je me plains pas trop de l'eau du robinet. Y'en a qui disent avoir vu des poissons en sortir mais moi ce que j'en dis c'est que ce sont des menteurs." Les flics s'installèrent autour de la table formica. Carol-Anne s'approcha de moi. Elle posa deux tasses devant les policiers. À regret je proposai sucre et lait alors que je savais qu'il n'y en avait pas chez Carol. Ils refusèrent. Eau pure. Je leur remplis les tasses et m'asseyais à leur côtés. Un rayon de soleil traversa l'unique lucarne et vint caresser ma nuque. C'était sympathique. Comme de recevoir deux amis pour discuter de choses et d'autres.



Et puis le talkie-walkie du plus jeune se mit à parler. Cela grésillait sévère mais je compris à demi-mot que le corps inanimé d'un dénommé Carol venait d'être découvert. Et comme les papiers du défunt indiquaient une adresse proche du quartier dans lequel opéraient les deux flics attablés, le commissariat les expédiait en éclaireurs. Procédure de routine. Appliqué comme tout apprenti soucieux de bien faire son travail, le jeune nota sur un carnet de poche l'adresse que lui dictait son talkie-walkie. Conscient de l'importance de l'ordre il se leva s'apprêtant à interrompre notre petit déjeuner. En temps normal il aurait trouvé une formule polie mais ferme pour mettre terme à notre moment privilégié, mais là, il se ravisa lorsqu'il s'aperçut que l'adresse notée correspondait à celle de l'appartement où il buvait une tasse d'eau chaude. Il repoussa sa chaise et se leva. La main posée sur son arme au cas où il me fixait avec tout le sérieux du monde. "Est-ce là votre appartement Monsieur?" Le ton venait de grimper d'un octave. Je me levai à mon tour et attrapai la main de Carol-Anne. Je ne répondis rien. "Sommes nous chez vous Monsieur?" Chaque mot était prononcé de manière indépendante et de façon très claire comme s'il s'était agi de communiquer avec un attardé. Mais je ne suis pas très somique Monsieur, parlez moi normalement pensai-je. J'analysai la situation jaugeant les différentes options qui se présentaient à moi. Le vieux flic, quant à lui, était toujours assis. À l'évidence la tournure que prenait ce petit déjeuner improvisé ne lui convenait pas. Il leva la tête pour regarder son collègue. Il lui lança un regard foudroyant qui semblait dire petit con est-ce une manière de traiter quelqu'un qui nous offre un café? C'est ça les méthodes que l'on vous apprend à l'école de police ben c'est du joli. C'est encore moi ton supérieur petite fiotte alors tu vas te rasseoir et t'excuser auprès du Monsieur. Ouais ce flic là n'aimait pas faire de vague. Mais ses mots restèrent à jamais une idée. Car le plus jeune des deux dégaina sans prévenir et me mit en joue. Ce geste il l'avait appris par coeur à l'académie. Et depuis il attendait l'occasion de se tester sur le terrain. Et l'occasion était enfin là, il fallait la saisir sans se poser de question. Mettre en application sans laisser transparaître son émotion. Agir de sang-froid. Il y avait tellement de collègues qui se vantaient de n'avoir jamais dégainé de toute leur carrière qu'il mesurait l'importance de ce moment. Lui il aimait l'action. Il en voulait il en redemandait. Il flippait à l'idée de mener une carrière pépère. La flamme de l'inspecteur Harry brûlait en lui. Personne ne le savait mais la simple évocation des mots Beretta ou Glock 9mm lui collait une érection. "Lâche cette hache!" Tout allait trop vite. Cet ordre à mon encontre qui valait pour un avertissement fut bâclé par un excès de précipitation. On aurait dit un exercice de prononciation dans lequel mes deux invités seraient les bons derniers de la classe. " Bon alors on reprend pour les deux du fond. Les rois de la bafouille. Répétez dix fois de suite la phrase suivante « Lâche cette hache mâche ce hash cache cette bâche, hache cette mâche, bâche cette hache, lâche ce cash, t'as une tâche de pistache pauv' tâche » et appliquez vous bordel si vous ne voulez pas devenir flics quand vous serez grands." La scène était figée. Moi immobile tenant avec fermeté et Carol-Anne et la hache du tonton. Assis en face, un vieux flic dépassé par les événements spectateur de la scène d'arrestation jouée par son fougueux coéquipier. Et puis une aide bienvenue se manifesta.



Je l'avais presque oubliée mais notre ramdam l'avait réveillé. La petite dame de la boîte aux lettres. Agacée par ce vacarme inhabituel elle usa alors de sa voix éraillée. "Bon vous allez baisser d'un ton et foutre le camp d'ici... merde alors... je dors moi!". Pas préparés à cet imprévu les deux cowboys commirent l'erreur à ne pas faire. Ils m'abandonnèrent du regard. Leur besoin d'identifier cette voix inconnue m'offrait une superbe occasion de prendre la fuite. Je m’empressai alors de bondir sur le moustachu afin de le déstabiliser. En même temps, j’assénai un violent coup de hache en direction de l’épaule droite du jeune et ainsi le neutralisai. Le cri déchiré qui sortit de son crache-conneries valida la qualité ma prise. Son arme de service tomba et son sang me gicla à la gueule. Je tirai Carol-Anne vers moi et démarrai une folle course. Il me fallait courir, encore courir toujours courir... Descendre les escaliers comme un dératé pour espérer leur échapper. Je n'aurais pas du croire le Ministère A.M.E.R lorsqu'il m'avait dit alors que je n'étais qu'un jeune ado crédule de courir plus vite que les balles. Ce n'est pas possible. Aussi quand la détonation résonna dans la cage d'escalier je n'eus pas besoin de me retourner pour savoir qui était la cible. Je projetai Carol-Anne en avant pour la protéger du danger qui s'approchait à la vitesse de 300 mètres par seconde. La balle chercha à se loger au coeur de ma cuisse gauche mais elle n'arriva qu'à l'effleurer déchirant au passage mon jean. Fort heureusement le moustachu n'avait pas la précision de tir de son Ranger du Texas préféré. Je morflai au contact désagréable du métal contre ma peau et me ramassai dans le décor. Sur le dos je dévalai une partie de l'escalier avant de pouvoir, au prix d'un effort de survie, me remettre sur mes quilles. Arrivé au rez-de-chaussée je portai Carol-Anne à mes bras et quittai cet immeuble de malheur. J'entendis sans y obéir l'ordre de m'arrêter émanant du moustachu dont l'embonpoint se faisait cruellement ressentir dans l'épreuve de la poursuite.



Voiture. Je démarrai affolé et à bloc sur la pédale. Il était grand temps de disparaître de cet enfer urbain. La journée était minable, je décidai de rentrer à la maison. Ce n'était probablement pas la meilleure chose à faire mais je ne me voyais pas dans la peau d'un fuyard. Il me fallait parler à Michèle. Mon coup de hache, coup de folie, venait de me faire basculer du côté obscur de la loi. D'ici quelques minutes c'est tout le commissariat qui se mettrait à ma recherche. Le jeune flic serait traité en héros, en vaillant soldat victime de la lutte sans fin du bien contre le mal. Le moustachu aurait droit à moins d'honneurs. Il devrait expliquer comment il avait laissé cette situation envenimer puis dégénérer, comment il n'avait pas protégé son partenaire et comment il avait laissé fuir un fou armé. Il serait mis à pied. Tandis que je conduisais je cherchais d'un main un bon cd à glisser dans la fente de mon lecteur. J'aurais aimé entendre mon album rayé "1993...j'appuie sur la gâchette" et chantonné tous ses brûlots avec ma petiote mais je ne le dénichai pas. Carol-Anne m’expliqua alors sa rencontre avec les représentants de la loi. Lorsqu'elle s'était réveillée elle avait cherché un éventuel petit mot sur le tableau de bord. En l'absence de message elle était sortie de la voiture pour me retrouver. En ballade dans la rue les deux flicards l'avaient remarqué. Et tout s'était enchaîné. Retrouver l'appartement fut pour l'escouade de choc une simple formalité. La suite je la connaissais. Circulez.





... to be continued

la suite sera en ligne mercredi 18 avril

Aucun commentaire: