mardi 17 avril 2007

Chapitre 10 - Résister

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Quand nu je regarde mon corps je vois des plaies. Certaines en bonne voie de guérison, d’autres déjà cicatrisées et les autres... hurlantes et palpitantes. De véritables terres volcaniques post-éruption. Des zones de lave rugissantes prêtes à en découdre avec un environnement hostile. Des mélanges chatoyants de.... Stop! Stop!! Stop!!! Arrête! Ces expressions, ces envolées lyriques, ce grand n'importe quoi, pffft... terres de feu, et puis quoi encore? Tu ne fais pas dans l'Ushuaia nature faut te ressaisir merde! Non il n'y a pas plus de beauté rougeoyante dans la découpe d'un avant-bras qu'il n'y a d'honnêteté écologique dans une émission diffusée sur une chaîne de maçon. Car dans l’automutilation il n’y a pas de romantisme. Mais bon dieu c'est bien vrai. Ton, Mon! Mon, mon et mon... C'est moi qui parle ici et je parle en mon nom alors cesse d'écrire avec cette pute de seconde personne du singulier. Je reprends! Mon corps n’est pas un parchemin. Et je ne fais point de calligraphie. Tu voulais de l'arrondi, des formes gracieuses, des lignes épurées, de la symbolique pisseuse, alors un conseil, fais moi un demi-tour élégant et fous moi l'camp. Pas de place ici aux mièvreries d'adolescentes pleurnicheuses. Comme la chair, ma réalité est crue. Un jour mon cadavre s’exposera à l'ombre d'une tombe, L'on y verra les marques de la douleur mais pas les causes. Et il n'y aura rien à y lire. Les Champollion en herbe peuvent rester pieuter j'emmerde la Pierre de Rosette. Elle et toute cette bande de psy, une fine équipe de traducteurs-transcripteurs ès douleurs. Je les conchie tous et je bave sur leurs analyses. Qu'ils me laissent porter ma croix et vivre mon supplice. Il est mien, qu'ils trouvent le leur. Allons bon, un peu d'introspective Messieurs, vous trouverez bien matière à construire votre propre potence et à vous y crucifier. Se blesser soi-même n’est même pas intéressant. Ce n'est pas non plus un acte de foi. Ce n’est qu’une variante aux dépendances médiatisées et connues du grand public. Proche de l’alcoolisme. Je peux parfois rester un mois sans m’amocher. Et puis le moindre grain de sable peut tout enrayer. Une réflexion désobligeante, un manque de tact envers ma petite personne, une angoisse naissante ou un je ne sais quoi qui me fout hors de moi. À tous ces tracas, une seule solution, l’automutilation. Ouahh on dirait un slogan publicitaire. "Une seule solution l'automutilation." Faut que je le dépose j'suis sûr que j'pourrais en tirer un max de royalties en le refourguant à ces connards de vendeurs de lames de chez wilkinson ou gillette. La découpette, elle m’apaise, me fait le temps d’un instant relativiser ces jours merdiques qui s’accumulent comme autant de grains de sable sur une plage de pétrole.



Partout où je vais j’espère un accident violent. Je passe sous les échelles, traverse en dehors des clous. J'ai envie de tomber et de ne jamais me relever. Quand je prends un train je prie pour une erreur d'aiguillage qui nous ferait percuter un autre train. Je regarde une mère de famille. Je la vois avec ses deux bambins. J'ai envie de lui dire qu'il est encore temps pour elle et ses mômes de descendre du wagon. Que le train qui quitte la gare n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Que s'ils sautent tous les trois, oui il y aura de l'ecchymose à revendre, oui un tibia ou un fémur sera en vrac mais il y aura surtout de la vie derrière la blessure. J'ai envie de le lui dire, je m'approche mais elle n'a pas envie de m'écouter. Elle est toute dispersée c'est dommage. Elle demande à ses enfants de se tenir bien droit, d'être disciplinés et de ne pas dévisager les autres passagers parce que ce n'est pas poli. Puis elle humecte de salive son pouce droit et frotte à la commissure des lèvres d'un des gamins afin d'effacer une trace de chocolat fondu. Elle semble en colère contre le petit qui mange comme un cochon dit-elle. Mais elle ferait mieux de les laisser tranquille, de les laisser becter comme des porcs, et de m'accorder un peu d'attention... C'est elle qui est irrespectueuse de ma personne. C'est qu'elle ne doit connaître le fabuleux pouvoir de volonté que nous possédons dans la famille. Et si j'avais hérité de ce pouvoir, si par la simple pensée de l'accident je pouvais expédier ce train dans un ravin? Si cela était possible alors je ne serais pas là en train de m'emmerder à te remplir satané cahier, non depuis longtemps déjà j'aurais succombé au roi argent et, mercenaire, j'aurai monnayé mon pouvoir à tous les groupuscules terroristes de la terre me foutant grassement de leur lutte armée et de leur conviction religieuse. C'est quoi ça d'ailleurs une conviction religieuse.



Tiens c'la m'fait penser à ce jeu que je pratique quand l'envie de m'amocher se fait légèrement ressentir et que je souhaite la repousser sans me martyriser. Ce jeu, il maintient le sécateur à l'abri de mes lambeaux de peau. Il consiste à définir tous les mots d'une même expression. Exemple avec l'expression "conviction religieuse". Deux secondes que je prenne mon Grand Robert.


Conviction religieuse: Acquiescement de l'esprit fondé sur des certitudes évidentes (conviction) relatives à un gâteau fait de pâte à choux fourrée de crème pâtissière, ayant la forme d'une grosse boule surmontée d'une plus petite, avec garniture de crème au beurre (religieuse). (1er niveau)


Bien bien, mais développons un peu et passons au second niveau.


Conviction religieuse: Savoir acquis constituant une sorte de capital ( acquiescement ) d'une âme défunte (esprit) fondé sur des faits indubitables qui s'imposent à l'esprit (certitudes évidentes) relatives à une pâtisserie à base de farine de beurre et d'oeufs généralement sucrée (gâteau) faite d'une préparation de consistance plus ou moins molle et moins grasse que la pommade (pâte), d'une plante dicotylédone scientifiquement appelée brassica cultivée comme potagère (chou) fourrée au produit d'entretien à base de cire (crème) et dont l'ensemble des contours résultant de sa structure de ses parties et qui rend identifiable (forme) s'apparente à un objet sphérique (boule) qui dans son genre dépasse la mesure ordinaire (grosse) terrassée (surmonté) par un autre objet sphérique qui dans son genre est en dessous de la moyenne (petite), avec matière grasse et onctueuse (crème) d'un corps gras alimentaire obtenu en battant la crème du lait de vache (beurre) qui sert à orner (garniture).



La plupart du temps mon envie de m'amocher cesse avant la fin de la définition de second niveau. Mais s'il le faut je peux développer un troisième niveau, définir un quatrième et ainsi de suite... La seule limite est celle de la langue Française ce qui me laisse une marge certaine. Malheureusement ce jeu ne fonctionne que lorsque l'appel à l'entaille est faible, faible comme une envie soudaine de se gratter une croûte au genou. Ce jeu repousse l'envie de me faire mal mais ne la détruit pas. Ce besoin destructeur reste là, il est tenace et fidèle à son poste. Il n'est pas du genre à poser les armes s'en avoir combattu. Alors il peut rester autour de moi pendant des heures à me regarder patiemment accomplir mes jeux débiles. Il est comme une présence planante dans ma petite chambre. Et quand son emprise se resserre, quand l'étau se referme sur mon corps, quand la lame s'apprête à découper mes chairs, alors il est temps pour moi de sortir ma botte secrète. Celui là il s'appelle le jeu des S.S. Pour salopes de sauterelles. Là où le premier jeu se contente de repousser les attaques mutilatrices, le salopes de sauterelles se propose de les tuer. Les tuer avant qu'elles ne s'expriment. Mais ce jeu nécessite une mise en abîme conséquente et un concentration intense. Le but du salopes de sauterelles est de s'automutiler mentalement afin de se réveiller apaisé.



Il fait sombre. C'est soudain et inattendu. Il y a une minute c'était encore grand soleil. Cherche pas à comprendre Carol. Pour une fois le soleil ne s'est pas couché sans y consacrer une demi-journée, il s'est gaufré, vautré, planté et plouf dans le bleu de l'océan. Donc là il fait noir. Au début c'est le noir complet comme de rentrer dans un commerce en plein cagnard estival. Et puis après quelques minutes mes yeux s'habituent. Je commence à distinguer quelques formes dans l'espace confiné de ma chambrette. Des contours d'objets me sont familiers tandis que d'autres me laissent songeurs. Je crois en la présence d'un gros chat posé sur mon lit avant de me souvenir y avoir laissé traîner mon gros pull en laine. C'est comme de redécouvrir mon mobilier sommaire. Je suis sur une chaise et je suis nu. La chaise est au milieu de la pièce. Ma table à manger n'est pas là mais cela ne semble pas m'étonner. Je n'ai pas froid, je suis bien, je vais sans tarder décider de ne plus jamais porter de vêtement. Ma respiration est discrète et mon sexe au repos. Pourtant au-delà de cette apparente tranquillité de l'homme seul, quelque chose cloche. J'ai du mal à le définir mais je crois que cela vient de ma peau. Qui justement n'est pas ma peau, mais chuttt!! elle est celle de quelqu'un d'autre. Pour me le confirmer, je laisse glisser une main sur mon torse, puis elle s'aventure le long de mes bras et enfin elle descend sur mes cuisses. Aucun doute n'est possible, cette peau n'est pas la mienne. Elle est intacte comme au premier jour. Elle est douce, soyeuse et sans aspérité. Lisse comme celle d'un bébé et entretenue comme celle d'une fraîche jeune fille. Les marques de ma souffrance semblent s'être effacées. Mes plaies se sont nettoyées refermées et à jamais envolées. Je pourrais me réjouir de cet état de fait mais j'ai beau essayer, je n'y arrive pas. Ce n'est pas ma peau ce n'est plus corps. Je suis un cerveau qui erre dans le corps d'un autre. Et alors que j'en suis là, à me poser mille et une question, à me demander où est passé mon corps meurtris, à me demander si un nouveau cerveau lui a été attribué ou si au contraire quelqu'un s'est chargé de le jeter comme l'on se sépare d'une vieille chaussure trouée. Alors que j'en suis là, c'est la douleur qui ressurgit. Et elle s'en prend à mon oeil droit. Clash violent. Elle le traverse comme si elle était une lance. Il me fait mal. Trop mal. Et puis après quelques secondes la douleur s'estompe et cède sa place à un battement régulier juste sous la paupière. Bam... Bam... Bam... D'abord lent et discret, il se propage avec vice dans mon crâne. Le rythme s'accélère et bientôt je n'entends plus que lui. BAM!!! BAM!!! BAM!!! Il n'a de cesse de répéter ce mot "BAM!!!" mais moi je ne sais ce que cela signifie. Il résonne et explose mes oreilles sans que j'arrive à le faire taire. J'ai un marteau piqueur qui s'est caché sous mon oeil et je trouve cela fort embêtant. J'ai besoin de savoir. Ce ne doit pas être bien compliqué, il me suffit d'extraire mon globe oculaire, de fourrer un doigt au fond de la cavité, de chopper cet outil d'entretien des voiries et de le balancer loin d'ici. Mais je ne peux lever mon bras. J'essaie à nouveau mais non, il ne veut pas venir il est fixé à même la chaise. L'autre bras l'est aussi. Il n'y aucune sangle et rien ne semble les retenir prisonniers. Pas de colle ni de clous. Et à dire vrai je me sens plutôt bien si ce n'est cette incapacité à effectuer le moindre mouvement. Mes membres sont muets. Pendant ce temps le BAM!!! continue son travail de sape. Je dois regarder derrière ma paupière. Il le faut. Concentre toi Carol tu peux y arriver. La force de l'esprit est supérieure à celle des membres d'un corps. Regarde tu touches presque au but. Oui juste là, un peu plus à droite et tu y es, soulève encore un peu, la membrane de peau est fragile alors fais bien attention à ne la pas déchirer. L'origine du BAM!!! est là, tu la vois? Carol.... et puis plus rien Stop. Le BAM!!! vient d'abandonner mon oeil. Je crois qu'il est partit se réfugier derrière la porte d'entrée. La lumière du couloir vient de s'allumer et l'on frotte à la porte. Un rai sous la porte illumine le sol de ma chambrette. Oui il y a quelqu'un sur le palier et il gratte. Le voilà qui se faufile. Par dessous la porte. Une sauterelle, elle est énorme. Quinze peut-être vingt centimètres. D'abord immobile elle s'approche ensuite sur un rythme de sénateur. Puis à nouveau là voilà qui s'arrête. Elle est à mi-chemin entre moi sur ma chaise et la porte d'entrée. Elle m'a remarqué. Maintenant elle me fixe de ses gros globes vides et d'un coup pointe en ma direction ses longues antennes. Je soutiens son regard mais je me sens craquer. Lentement elle prend le dessus. Elle me dévisage comme si j'étais une proie. Elle me fait peur quand je remarque la puissance de ses mâchoires. Et la voilà qui passe à l'action. L'insecte carnassier, la salope de sauterelle saute vers moi. Elle déploie entièrement ses grosses pattes vertes et effectue un bond majestueux. Puis elle recommence jusqu'à se poser devant la chaise. Je n'arrive toujours pas à bouger. Je voudrais la chasser d'un geste du pied mais mes efforts de gesticulation n'aboutissent pas. La voilà qui se pose sur ma cuisse. Je voudrais hurler. Et puis il y a ce truc immense, cet outil, qu'elle porte à l'arrière. Je le vois enfin. Une espèce de sabre qui se termine en vis. Et la vis commence à tourner. Ouais, c'est ça, on dirait une vrille. Ou une mèche de perceuse. Impressionnant cet outil semble destiné au forage des sols. Non!!! mais que fait-elle??? elle se penche sur moi. Va-t'en!!! Ouste!!! Mais pourquoi est-ce que cette vrille s'actionne? Non, non... Mon genou.... stopppp!!!... s'il vous plaît... s'il vous plaît madame la sauterelle laissez mon genou tranquille. Je regrette de vous avoir traité de salope. Je m'excuse.... Mais elle se fiche de ma souffrance. Elle s'active telle une bonne ouvrière. La vrille est à bonne vitesse, le forage peut à présent commencer. La caresse de mon genou cesse et soudain sa vrille s'enfonce en moi. Pas de préliminaire c'est froid et c'est violent. Un va et vient brutal qui vise le centre de mon monde. Elle me pénètre et proche de l'agonie je me demande si cette torture n'est pas qu'un banal acte sexuel. Je ne trouve pas la réponse à cette question mais je pressens que l'homme possède un vagin secret qui se cache dans son genou. Pourtant aujourd'hui je le devine il n'y aura pas de dénouement jouissif. Alors que je ne fais plus qu'un avec cette salope de sauterelle, je sens ma peau se déchirer et mes chairs se décomposer. Je suis Grégor Samsa quelques minutes avant que Kafka ne me découvre. Et puis il y a ce sang, tout ce sang, qui par jet irrégulier vient m'asperger. La sauterelle creuse un tunnel qui ne semble jamais finir. Je deviens un trou. Et tandis que je la vois se pourlécher les babines en imaginant le festin de l'homme creusé qui l'attend, une résurgence d'un passé oublié de collégien s'impose à moi au meilleur moment. Prenez vos cahiers et notez: La femelle Tettigonia viridissima communément appelée Grande sauterelle verte est dotée d'un tarière. Cet organe de ponte situé dans le prolongement de l'abdomen lui sert à creuser des trous pour y déposer ses oeufs. Voilà son projet. Il est à présent limpide. Elle fait de mon genou son nid. Elle entend y déposer sa descendance. Non, laisse moi sauterelle, je ne puis être ta mère porteuse. J'ai envie de pleurer quand mon regard se pose sur une seconde sauterelle qui vient de s'immiscer par l'interstice de la porte. Plus petite mais aussi plus véloce elle semble affamée. Elle se précipite vers moi dans un galop qui ne peut être imaginaire. Et bientôt une troisième sauterelle puis une quatrième... Je n'arrive plus à les compter, elles arrivent de toutes parts et bondissent sur ma viande. Elles sont des dizaines peut-être des centaines. Elles me grignotent me dévorent me vident de ma substance. Mais surtout elles creusent oui, elles n'ont de cesse de me creuser... Tout cela pour assouvir le but ultime, me transformer en maternité humaine. Je n'en peux plus... Ma respiration est saccadée, j'ai froid. Non j'ai chaud. Euh non en fait j'ai vraiment froid. Quoique. J'ouvre les yeux. Je ne suis pas sur une chaise. Et ma table est toujours au milieu de la pièce. Je suis allongé sur mon lino. Je suis couvert de sueur. Mes membres semblent m'appartenir à nouveau. Je tâte mon genou et avec joie constate qu'il n'y a aucun trou. Je crois que je suis bien je crois que je suis serein. L'exercice du salope de sauterelle est je crois terminé. Je suis en paix avec moi-même et je n'ai aucune envie de souffrir. Reste la fatigue. Ce jeu m'achève je suis vidé de toute énergie il me faut dormir. Là, à même le sol, je me recroqueville et trouve le sommeil.



J'adore dormir, j'aimerais y consacrer jusqu'à vingt deux heures par jour. D'ailleurs le coma est j’en suis sûr préférable à la vie. L'état léthargique est à n'en pas douter un bienfait. Pourquoi être éveillé lorsqu'on ne sert à rien, lorsque l'on ne contribue à rien. Moi je n'ai pas personnalité alors pourquoi me lever. Oui je n'ai pas de personnalité, je ressemble aux gens. Je n'ai pas de compétence tout juste une légère absence d'incompétence. J’adopte des modes de vie, des façons de pensées qui me sont inculqués par les journaux télé. Je suis l’homme lambda, sans talent, ni folie dissimulée. Ma vie est une mer sans vague, une montagne sans avalanche, un cratère sans éruption. Si un auteur décidait d'écrire sur l'art de se faire chier il pourrait s'approprier mon existence comme trame de son ouvrage. Je lui cède volontiers les droits de ma vie. Je devine déjà la première phrase de son haletant suspense: « Ce matin tandis qu'il ne se passait rien, quelque chose ne se produisit pas... ». Et c'est comme ça tous les jours. J'attends la mort comme d'autres la pause déjeuner. Tous les jours je l'attends, tous les jours je la provoque, tous les jours je lui donne un petit coup de pouce mais jamais elle ne se manifeste. Que faut-il faire pour la mériter?



Je ne sais pas si je suis une personne dépressive. Sûr, je ne suis pas joyeux, je suis même un peu triste je crois, mais suis-je dépressif? Si je devais être une donnée statistique et je le suis peut-être je crois que les manipulateurs de chez Tns-Sofres me classeraient du côté des dégoûtés de la vie, de ceux qui ont baissé les bras et abandonné tout espoir. Mais j'men fous je suis déjà condamné. Les hommes vont en enfer, je suis un homme, j'irai donc dans cette chaude contrée. Quoi de plus normal que je me punisse. « Dehors tu es bien sous tous rapports » m'avait dit ma mère qui est au cieux. Alors j'ai appris à dissimuler mes stigmates. Quand chaque colère déclenche une série de coupure tu apprends à vivre le corps protégé des regards voyeurs. Tu as souvenir de ce que sont shorts et T-shirts mais ta garde-robe a oublié. Au cœur de l’été, passé 30°C, quand les collègues portent sur eux, la décontraction professionnelle symbolisée par de légères chemisettes, je suis la bête sauvage. Moi et mes longues manches. Je suis un adepte de l’extrême sudation estivale mais ne peux que conserver cette chemise quasi-liquette tant j'ai besoin de me protéger. Et ces regards médusés qui tentent en plus de me l'agrandir. Aux questions, il faut faire face avec imagination. « Un chien. Il m’a sauté dessus et hop les bras tout griffé » ou bien « Il me semblait que la météo avait annoncé une dépression pour aujourd’hui ». Une fois j'ai eu le malheur de dire que si je ne portais pas de chemisette c'était pour dissimuler un tatouage à ma hiérarchie. Quelle grossière erreur. Il n'a pas fallu plus de cinq minutes pour qu'un demeuré de collègue vienne à mon encontre pour me partager sa passion commune. Ce qu'il préfère lui, c'est les dauphins. Si sa famille le veut bien il s'en fera un sur l'omoplate. À la Noël comme il dit. Sauf s'il opte pour un tribal à la cheville. Je lui dit que c'est bien. Il est content et demande à voir le mien. Je refuse en prétextant que cela me gêne de me dévêtir au bureau. Il comprend mais me demande tout de même si cela fait mal. Connard. Le cercle s’alimente ainsi. Si je dissimule, ils épient et excluent. Si je montre, ils dénigrent et rejettent. Une seule certitude, je suis persona non grata. Probablement dangereux, pervers et obsédé en plus. J’ai ma dépendance et je les emmerde. Eux ne sont pas plus indépendants. Les biens de consommations ils en raffolent. Ils sont dépendants de tout, mais cette dépendance est tellement généralisée qu’elle est socialement acceptée. Et savamment orchestrée par les multinationales. Ils portent des œillères à leurs ego pour éviter de voir qu’ils sont. Des consommateurs. Alléchés par toute la merde qu’on leur verse sur la gueule. J’ai l’avantage de connaître mon mal. Je ne voudrais pas du leur car je ne saurais le combattre. L'industriel qui fait corps avec le publicitaire exerce une telle emprise qu'il ne peut être contrecarré. Moi mon mal est artisanal. Alors parfois je tente d’en sortir. Normaliser mon corps. Il y a si longtemps que je m'entaille que j'ai mis au point diverses techniques censées diminuer la fréquence de ma mise en charpie. Il y a d'abord les jeux que je viens de décrire un peu plus haut. Le jeu des définitions et le salope de sauterelles sont de vraies stratégies de remplacement. Je les complète par une panoplie d'apaise-supplices comme je les nomme. Un apaise-supplice c'est une sensation intense qui à la différence de l'entaille ne laisse pas de trace. Si je rentre énervé je sens le besoin qui brûle en moi. La nécessité de pénitence. Résister est alors l'unique mot d’ordre. Résister le plus longtemps possible. Penser à autre chose. Faire autre chose. Délacer et ranger mes chaussures. 30sec. Séance d'abdominaux. 5min. Laver mes carreaux. 10min. Ce temps gagner est une économie sur ma vie. Pour cette fois ci je suis calmé. Petite furie. Cela ne fait qu'éloigner l'échéance punitive. Quelquefois ma colère est plus violente. Si je veux éviter de me trucider un membre alors ranger des bouquins n’est pas suffisant. De la sensation. Je commence par me pincer. Jusqu'à en affecter douloureusement ma peau. Je claque volontairement ma porte d'entrée contre l'annulaire de la main gauche le lundi de la droite le mardi. Un jour Aïe un jour Ouille. J'ôte un abat-jour et d'une poigne décidée serre l'ampoule brûlante qu'il couvrait. Sous la douche je m'en vais jouer avec le mitigeur. Rouge puis bleu. Je brûle à fond, je gèle à fond. Après ces efforts il m’arrive toutefois de céder à la blessure volontaire. Cependant je progresse, repousse les appels incessants. Certaines techniques fonctionnent et d’autres non. Parfois je m'approche de ma plaque chauffante et je l'allume. J'y dépose une poêle dans laquelle je verse une cuillère à soupe d'huile. Pendant qu'elle chauffe je pille de la glace dans un bol. Je peux ensuite déguster. Une main dans la poêle, une autre dans le bol de glace. J'aime Amanda Woodward lorsqu'elle me chante « la décadence de la décadence ». Pourtant je doute de l'efficacité à long terme des apaise-supplices. Car au fond de mon cœur une petit voix me parle et me dit « Jamais rien ne te soulagera autant qu'un bon coup de couteau dans le muscle » Et c’est cela qui est dur. De le savoir. J’apprends à contrôler mes pulsions. Comme les fumeurs, je veux un patch. Patch anti-mutilation. Disposé sur mon corps, il me lancerait des petites décharges qui allégeraient mes douleurs. Ce serais là mon meilleur traitement docteur. Alors bougez-vous le fion bordel de merde. Récoltez des fonds. Téléthon option mutilation. Et colmatez mes brèches. S’il vous plaît.




... to be continued

la suite sera en ligne mercredi 25 avril

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