mardi 6 mars 2007

Chapitre 4 - Mon corps se tord

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La première fois que j'ai voulu en finir, il était 16 heures, l'heure du goûter. Je me suis alors préparé un bol de café ainsi que deux tartines beurrées. J'ai tout avalé et ne me suis pas suicidé. C'était bien c'était un lundi. Cela a créé une image. Une image mentale. Je crois que l'on appelle cela la P.N.L. pour Programmation Neuro-Linguistique. Oui je sais... tout un programme. Mais qu'on se rassure ce n'est que de la merde en barre une fois de plus. En gros cela veut dire qu'à une situation donnée correspond une image mentale. Exemple. Un gars a peur de prendre l'avion. Ce même gars après un passé douteux fait de menus trafics et de séjours à l'ombre souhaite se reconvertir en tant que pilote de l'air car il imagine que c'est une profession idéale pour gérer son petit business de Bogotá à Paris. Bon peu importe le côté improbable de la situation. Non ce qui compte vraiment c'est sa peur. Sa peur de voler. Pour y remédier il va faire appel à un coach de P.N.L. un programmateur en quelque sorte. Pas plus futé que celui d'une machine à laver mais assurément mieux rémunéré. Car à grand coup de 150 euros par séance ce dernier va apprendre à notre jeune en réinsertion non pas à éradiquer sa peur mais à la contourner en lui créant une image mentale. Grosso mierdo quand tu es dans une situation difficile pense à un moment agréable de ta vie jusqu'à en créer un automatisme. Bon comme le gosse il a les souvenirs un peu troués, le dernier bon moment qui lui vient à l'esprit c'est sa prise de méthadone de mercredi dernier et de la légère euphorie qui s'en est suivie. Ça f'ra l'affaire lui assure avec dépit le programmateur. Et après quelques cours v'la le pilote en devenir sauvé. Dorénavant à chaque fois qu'il doit monter dans un avion il ferme le poing pour faire apparaître son image mentale. Et de se revoir en pleine agonie post-méthadone. Ce souvenir plaisant qui surgit dans une situation difficile va renvoyer sa peur initiale de prendre l'avion aux oubliettes... Je ne guéris pas ta peur, je ne soigne pas tes souffrances je te montre juste comment les contourner...



Tout cela peut sembler drôle voire plaisant mais ça ne l'est pas. Pas pour moi. Moi qui suis une victime de la P.N.L. Car à mon tour j'ai développé une image mentale. Mes idées noires font ressurgir mon premier désir de la mort et le goûter qui s'en suivit. Quand je pense "suicide" je vois apparaître sous mes yeux deux tartines dansantes qui m'ouvrent l'appétit. On dirait des danseuses de salsa c'est bizarre. Ce que je ne comprends pas c'est qu'à l'origine mon goûter comportait des tartines beurrées et que dans mon image mentale le beurre est remplacé par du miel... Bon ce doit être un dérèglement de mon programmateur. Je n'arrive plus à m'en défaire. Si je veux mourir je vois des tartines au miel. Et ce putain de miel qui n'a de cesse de m'ouvrir l'appétit. Et moi je ne veux pas manger. Car...oh et puis merde autant le dire, autant l'écrire. Tu es mon journal non? Alors si j'arrive à inscrire sur tes pages des expressions aussi stupides que je sais pas moi euh... "ostéopathe ambidextre mais névrosé recherche invertébré de type mollusque pour relation probablement non-professionnelle" pourquoi ne réussirais-je pas à y noter ce qui me ronge. Pourquoi y aller avec des pincettes? Les mots sont-ils si différents lorsqu'ils évoquent la souffrance et non plus le bonheur? Ne sont-ils pas qu'un assemblage ridicule de lettres auquel on accorde une importance démesurée. L'association des lettres a.m.o.u.r. est-elle si différente de l'union des lettres e.n.u.y.s.? Et laquelle est la plus forte? L'amour qui fait souffrir, celui qui détruit les êtres doit-il s'écrire différemment lorsqu'il désigne la passion et les chairs qui s'unissent? Et puis d'ailleurs pourquoi est-ce que je te demande tout ça? Après tout tu n'es que mon cahier. Je t'ai acheté, tu m'appartiens et j'ai le droit de faire ce que j'entends de toi. Estime toi déjà bienheureux que je ne t'ai pas laissé vierge. Si je veux déballer toutes les insanités qui me traversent l'esprit sur tes pages que vas-tu bien pouvoir y faire? Rien parce que tu n'es qu'un misérable cahier dépourvu de conscience. Et si demain il me vient l'envie de te brûler page après page trembleras-tu face à cette cruelle destinée? Non... qui n'a pas de vie n'a pas de mort. Alors s'il te plaît arrête. Arrête de m'empêcher d'écrire, arrête de faire dévier le tracé fluide de mon stylo. Et non ne rejette pas la faute sur lui. Il m'accompagne depuis des années et ensemble nous en avons noirci des pages. Et cela bien avant ta fabrication. Alors cesse de m'affronter du regard et baisse les yeux quand je me penche vers toi.



Car pour moi rien n'est facile. Non rien. Et malheureusement les jours se succèdent. Sans que je trouve le courage d’y mettre un terme. J’ai mal dans mon corps. Et ce n’est la que la surface de mon rien. Je suis l’éternel mal gaulé. Ma grâce? Une profonde absence de style qui épouse un charisme de passage mais jamais là. Mes muscles sont mourants et entaillés. Récemment je n’ai pas mangé et je ne m’en porte que mieux. Je m’y suis habitué. Au début il m’a fallu me battre. Et faire le vide. Tenir encore et encore. Me sortir la bouffe de l’esprit pour mieux l’empêcher de pénétrer mon estomac. La meilleure solution fut de faire disparaître de mon environnement toute trace de ces prétendues douceurs qui me voulaient du mal. Adieu les petits gâteaux, du balais les conserves, fruits et légumes je vous ai dit de dégager, cassez-vous bidoches et poiscailles. C’est simple celui qui n’a rien à manger ne mange pas. Alors vidons nos placards, débranchons nos frigos, bannissons toute lecture des prospectus de la grande distribution. Cette industrie du poison qui veut me tuer et à laquelle j'ai dit oui pendant si longtemps. Cette industrie qui combine publicité mensongère et racket commercial. Je brûle ses prospectus, je brûle ses magasins, je brûle ses dirigeants. Et s’il me reste suffisamment d’essence alors je cramerais ses clients jusqu’au dernier. Il ne me manquerons pas ces connards. J'agis avec conviction, éthique et sens moral. Je suis le pyromane du libre choix alimentaire. Tantôt je refuse d'accepter, tantôt j'accepte de refuser l'invitation qui m'est faite à rejoindre les rangs consumériste. La génération précédente me ment depuis ma prime enfance. Elle essaie de me faire croire que le bonheur se mesure au taux de remplissage de mon charriot. Elle cherche à me convaincre que le beau est semblable à un néon fluo qui entoure l'enseigne d'un commerce lambda. Elle a construit ce système et tente de m'y faire entrer. Je me sens proche de Daniel dans la fosse aux lions tel que le décrit la Bible de Jérusalem. Je suis un Daniel moderne et ma fosse est un centre commercial. Mais à la différence de Daniel je n'espère aucun Dieu pour me sortir de cette merde. Non je suis plus terre à terre alors et je remplis mon bidon car l'essence est la solution. Il me suffit de tout brûler.



Ils viennent de m'hospitaliser. Ils disent mon état inquiétant. Moi je me fous de leur diagnostic ce qui m'importe c'est de savoir ce qu'ils ont trafiqué à l'intérieur de ma carcasse pendant mon inconscience. Et ce con de médecin qui s'occupe de tout et me juge du regard. Qui puis-je? Rien puisque je suis ce que j'ai choisi d'être. Partout autour de moi je vois de la nourriture, elle ne me répugne pas, j’ai juste perdu le goût. Rien n’excite mes papilles gustatives, je fais de la survie alimentaire. Mes mâchoires sont fatiguées et mes dents préfèrent tomber. L’anorexie est un art et vomir est un sport. Un sport né dans l’underground dont la pratique ne requiert aucune attestation médicale. Le corps médical parle de "victime" de trouble du comportement alimentaire. Mais ce corps ne comprend rien au corps. Pourtant il prétend le soigner. Le médecin me voit victime et moi je le regarde comme un vulgaire dépravé culinaire. Sa dépendance nutritionnelle se lit sur son physique disgracieux. La cellulite, la peau flasque, les bourlets qui refusent de le quitter ne sont que les conséquences de sa soit disant liberté de manger ce qu'il veut quand il veut où il veut. Je suis un esprit libre. Ma pureté ébranle les failles de sa chair. Vivre son corps dans l’abandon, accumuler les excès sans aucune maîtrise ce n'est pas pour moi. Comme s’il s’agissait de déformer une pâte à modeler. Un objet sculpté par le Créateur ne doit pas être déformé. Ne doit pas être enlaidit. Médecin odieux je te vomis.



Le désordre alimentaire comme un acte de foi. Il est un mode de vie. Mon corps est sain, le tien souillé. Je suis heureux de ne plus manger. Et même si je les répugne et bien oui je suis beau. Je fais de mon corps une œuvre d’art. D'autres ont essayés on sait ce que cela a donné. Le tatouage est devenu tatoo alors qu'il s'agissait d'un art ancestral. Chaque nouveau piercing facturé sur cette Terre enfonce un peu plus cette pourtant délicate alliance du métal et de la chair dans les profondeurs limbiques du ridicule. Alors oui j'ai peur. Peur pour l'anorexie. Les mannequins nous nuisent à force de ramener les troubles alimentaires à la une des magazines people. Les mannequins galvaudent la portée symbolique de l'inappétence. L’anorexie, premier des arts, nécessite une implication sans relâche et un dévouement artistique total. Il ne s’agit pas d’une douleur de l’instant, mais d’une souffrance en profondeur. Là est la clé du poids insuffisant. To be Underweight. Combat de privation, lutte contre les tentations, cet art est difficilement apprivoisable. Définitivement, le plus bel art corporel. Je suis un bois qui se sculpte lui-même.



Parfois, je manque. J’oublie de réprimander mon estomac quand celui-ci réclame de l’aliment de non-survie. Se laisser attendrir par un viscère. Il me faut alors vomir. La "faim de boeuf" est un apprentissage vers l’anorexie. Un entraînement du contrôle de soi qui mène, si l’on sait fermer ses oreilles aux parasites du corps médical, à la véritable découverte de son être. Un sport. Je pratique sans baskets mais c’est bien d’un sport qu’il s’agit. Dans mes rêves, je me regarde vomir et je crois que je suis beau dans la gestuelle. Crispation de tout le corps. Mains appuyées sur les hanches. Les yeux chargés de larmes. Bruits excitants de déglutition. Le lancer de gerbe n’est pas réservé aux alcooliques. Nous le pratiquons de manière étudiée et réfléchie. Moins instantanée mais contrôlée. Je suis peu original dans la forme, me contentant d’une cuvette de toilette ou d’un sac posé à l’intérieur d’une poubelle. Je ne vise pas des cibles posées à terre, je n’exerce pas en extérieur car le vomi n’est pas un happening. Mais un sport sans public. Il s’agit de vivre sa vie. Dans la maîtrise.



Les médias, industrie de mèche avec celle de l’alimentaire, valorisent, via leurs écrans publicitaires, l’image du bon vivant. De celui qui profite de la vie à pleine dents. Celui dont la vie n’a de sens d’être vécue que si elle est associée à la quête du plaisir immédiat. Les moutons suivent. Ce que je ne peux faire. Ma vie serait tellement plus simple si j'avais fait le choix d'accepter cette quête mais voilà j’emmerde la simplicité de l’existence, les plaisirs sensuels et goûteux. J’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde j’emmerde. Ces industries aux intérêts communs nous bernent depuis le début. Aux horreurs qu’elles déversent dans vos assiettes il fallait une justification historique. Elles l'ont inventées de toutes pièces et s'y réfugient derrière. S'y réfugient au cas où... Cette justification elles l’ont façonnée, l’ont datée, l’ont représentée. Nom de code: Épicurisme. Une philosophie de la jouissance sans limite. Une philosophie... de fabrication industrielle. Mais Epicure n'a jamais existé. Je le sais. Tout au moins il n'a pas écrit cette philosophie qu'on lui attribue. Les pourceaux d’Epicure s'en sont chargés. Si Cicéron fut l'un des premiers à déformer la pensée d'Epicure il ne fut pas le seul. Aujourd'hui les nouveaux pourceaux se cachent dans des tours d'ivoires et organisent la distribution alimentaire mondiale de demain. Eux ne vivent pas la recherche effrénée du plaisir, ils n'en ont guère le temps et ils s'en foutent d'ailleurs, non ils se contentent de diffuser l'idée, de la rendre sympathique car elle leur assure un jackpot quotidien. Ces faits historiques, datés d'avant Jésus Christ, ne sont qu'un grand mensonge. L’Epicurisme n’est qu’une fourchette. Qui élève le goût du pâté.




...to be continued
la suite sera en ligne mercredi 14 mars

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bordel, pourtant je connais bien ça... mais c'est la 1ere fois que je le vois exprimé avec autant de force et de vérité. Ca fait bizarre.