samedi 17 février 2007

Chapitre 2 - Tu en perdras des victoires

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C’est mon dégoût et je le vous partage. « allez de l’avant », tel est l’un des multiples credo des crevards qui m’ont choisi comme collaborateur. « fais d’un échec un enseignement pour tes futures réussites ». Moi tout ce que je vois c’est un « allez de l’échec » ou encore « de tes échecs incessants tu bâtiras ta défaite ». Ce n’est pas la conviction de tout ce petit monde professionnel qui s’agite en pensant sincèrement, et ça c’est touchant, que mon sacrifice personnel en tant qu’employé de seconde zone, pour une bonne santé de notre entreprise est favorable à une amélioration de mes responsabilités à moyen terme et donc de mon sentiment d’ascension sociale, et de mon pouvoir d’achat. Mais putain, je vomis sur tous ces discours de misérable patron. Vous me dîtes que cette année encore l’équilibre financier sera dur à atteindre. Les bénéfices sont chahutés. Ben oui de partout de nouvelles menaces surgissent. Chinetoques en tête. J’ai peur mais je comprends. Sourires jaunes sur vos faces bouffies. « Carol nous ne serons pas en mesure de vous verser une prime cette année ». D’accord M. le patron. Vous n’êtes fautif de rien. Le marché est cruel. Dois-je aller blaster, poutrer et latter le pamplemousse qui n’hésite pas à doubler sa ration de riz quand moi je diminue la mienne? Et au fait Mister "Your're the Boss", elle est confortable la nouvelle BM ? Parce qu’à plus de 50 000€ le bout de tôle j’espère que vous jouissez lorsque vous laissez s'échapper vos flatulences grasses dans son intérieur cuir haut de gamme. L’entreprise. C’est la prison des hommes libres. Le cimetière de tes desseins d’enfant. Amène ta pelle à l’entretien d’embauche tu en auras grandement besoin pour y enfouir la vie que tu t’étais rêvée. Dedans, je suis un playmobile, ne me pliant que pour me faire enculer. Je n’ai pas vos envies, je chie dans la soupe et crache sur vos modes de consommation. L’employé du mois je lui casse la gueule tous les mois. Le lèche-cul je lui scie la langue. Ensuite je l’oblige à se laisser pousser les ongles afin qu’il devienne le griffe-cul du patron Celui qui habite les cauchemars des boss Moi, je reste un éternel subalterne, rouage minime, et jamais reconnu, dans la construction de ma boite. De leur boite. Quand il me dit avec son air dédaigneux « Faîtes », « Regardez », je voudrais lui arracher la tête, la jeter dans ma corbeille, et lui pisser sur sa nuque fraîchement dégarnie. Mais au lieu de cela, mon éducation s’apparente à de la soumission, j’acquiesce sans broncher. Putain, c’est à croire que l’on m’a pulvérisé de la merde dans le cerveau pendant les études. Ma qualité première ? l’obéissance outrancière. C’est étrange. C’est comme si l’on m’avait injecté une puce à mi-chemin entre mon cerveau et mes cordes vocales. Une puce informatique dotée du pouvoir de transformer mes pensées néfastes et haineuses en propos non conflictuels. Je n’arrive pas à cracher à la gueule de la direction les sentiments malveillants qui m’animent.


Le travail comme facteur d’intégration sociale. A bas l’intégration. Merde à la productivité, vive la destructivité. Le travail est bel et bien un instrument de torture, dans lequel l’on se jette. Masochism is fashion. Nous devons rétablir la place du client dans notre schéma, car il est un chaînon essentiel. Pour cela créons une cellule de marketing opérationnel. Nous gaverons le client de nouveaux besoins dont il ne soupçonne pas même l’existence. Si le client est roi alors c’est un roi sans trône et sans pouvoir. Moi je crois que c’est plutôt une dinde qu’il faut farcir de nos produits merdiques jusqu’à lui faire exploser la panse. Profits, bénéfices, dividendes, où allez vous bien pouvoir ranger tout ce fric qui vous échoit. Mais c’est bien sûr. Là bas…tout en bas…non, pas si haut…plus bas…beaucoup plus bas…tout au fond du trou…Qu’est-ce qu’il y a ? Des salariés, des ouvriers, vos salariés, vos ouvriers. Quelle riche idée. Et à la masse salariale, offrons des bons d’achat sur des grandes marques d’électroménager en échange d’une croissance de notre résultats. Et oui mon ardeur d’incendiaire révolutionnaire se monnaye à coup de réductions sur les grandes marques de lave-vaisselle. C’est solennellement que je promets de me défoncer au boulot en échange d’un tarif préférentiel sur le nouveau Bosch Logixx SGS09 tout inox. Vous savez le dernier cri du lave vaisselle. Je suis sécurisé car Eurolabel lui attribue la notation suprême qu’est le A/A/A pour sont efficacité énergétique, son efficacité de lavage et son efficacité de séchage. Le premier lave vaisselle tout automatique avec qui salir son assiette devient un quasi-plaisir. Il va même et la je suis séduit, m’avertir lorsqu’il détecte un manque de sel régénérant et de liquide de rinçage. Enfin il y a ce système Super brillance et la je craque, je le veux immédiatement. J’abandonne mes couverts dans mon évier tant que Logixx SGS09 tout inox ne sera pas encastré dans mon chez moi douillet. C’est une grève de la vaisselle à effet immédiat et à durée indéterminée. Le seul mouvement social dont je suis aujourd’hui encore capable. Vous avez annihilé ma force syndicale, vous n’anéantirez pas mon combat pour un meilleur cocooning au quotidien. Un pion n’a aucun pouvoir lors de son affrontement avec sa hiérarchie. Unanime le CE soutient mon combat.


C’est pour éviter une dépense d’énergie superflue que je suis devenu l’ambassadeur de l’acquiescement démesuré. Quoi que l’on me dise je n’ai qu’une réponse, elle tient en trois lettres, trois voyelles, un O au début et un I à la fin. Si l’on critique mon travail, je me remets en cause. Toujours fautif. Si l’on me demande de modifier mes méthodes, j’obtempère. Peu m’importe où est la raison, je suis le salarié sans conviction. Et si ma rémunération me semble inappropriée, je m’efface derrière ce que je désigne comme fatalité. Puisse mon patron me demander de lui sucer la queue pour gravir un échelon vers le succès professionnel. Je m’exécuterais docilement m’armant d’un cutter pour, le soir venu, me dézinguer les croûtes de sperme séchées au palais à grands coups de lame. Palais en charpie post éjac-buccale. La fin du labeur vient chaque jour à 18h00. Et c’est là que l’on mesure votre implication dans le projet de la Société. Tu pars à l’heure, sans faire de rab, tu n’es qu’un enculé de fainéant pressé d’en finir. Tu espères t’épanouir chez toi connasse ? L’heure supplémentaire c’est du bonus, c’est l’espoir d’une reconnaissance de ton patron. Un succès d’estime sur tes collègues. Bien sur, tu ne réclameras point tes heures de trop. L’on ne te demandera jamais de rester bosser après ta journée. Mais promis, l’on te jugera si tu ne le fais pas La culture du bénévolat s’est installée comme un investissement personnel dans l’espoir d’un avenir professionnel radieux. Et ce sacrifice de ton temps libre n’est que le premier : oublie ta famille, perds tes amis. Des loisirs ? Nourris ton esprit de compétition au sein du club sportif de l’entreprise. le sport et le business partagent des valeurs communes. Le goût de la gagne, l’envie secrète de bouffer ses adversaires, de leur marcher dessus et de les voir crever comme des vaincus. 17h55. Pour moi tout est déjà bouclé. Mon bureau est propre comme au premier jour. L’œil rivé sur l’horloge j’attend en rêvassant. Je suis usé par cette vie qui n’a de sens que si elle est travaillée. Dehors les cloches retentissent signe qu’il est grand temps de foutre le camp.


Je rentre, je suis fatigué. Je souffre de cette vie de raté. Une nouvelle fois je suis pris par d’étranges tremblements sur le chemin du retour. Je suinte de l’œil, mon corps mouille de sueur. Difficilement j’arpente les rues qui me mènent vers mon appartement. Je baisse le regard lorsque je croise un passant. Des connards j’en ai eu assez pour la journée. Ils me donnent le vertige. Sifflotants et guillerets il se promènent. Leurs mines réjouies sont des insultes que j’encaissent malaisément. Ils s’adonnent à des plaisirs simples, marchant sans but tout en contemplant des édifices d’absence de style caractérisé. L’homme des rues aime aérer son cerveau vide. Mais bondieu, homme, soit artificiel, inhale du Brizz Air Pur et ainsi reste caché chez toi. Ne m’expose ta face à moi qui ne la veux voir. Ces hommes n’ont-ils pas soufferts? Mon calvaire est-il si lourd qu’il me faudra bientôt une charrette pour le traîner ? Mierda de mierda. Je décide de ne plus relever la tête, ces allées m’ont toujours été hostiles. Marcher au radar. Je suis un zombi tout droit sorti de chez M. Romero. La colère est l’essence qui me fait avancer. Je brûle de voir mon sang couler. Les derniers mètres sont les plus pénibles. Combinaison secrète. Chez moi je suis comme dans un coffre-fort à l’abri des regards qui me jugent. Il me reste encore l'escalier de l'immeuble à grimper. Et c’est déjà tout mon corps qui réclame. C’est un corps impatient. J’ai envie de me pincer, de me cogner sur un panneau de circulation. Plus qu’une envie, un besoin. Je me retiens, je sais que ma paix intérieure est proche. J’avance. Je porte mon corps comme l'aut' sa croix. Jésus je crois. Approchant de mon refuge, j’agrippe la rampe. Les vertiges sont de plus en plus présents. Mais la victoire est au bout de l’escalier alors je m’y accroche. Encore quelques pas. Ca y est j’y suis. Une fois de plus j’ai triomphé de ce monde que l’on m’a imposé. Je fléchis dur et m’écroule. Mes jambes craquent et s’expriment par secousses irrégulières. J’essaie de les comprendre mais n’y parvient pas toujours.


Je pleure nerveusement à la recherche d’un nouveau souffle. Respiration abdominale. Reprendre un rythme respiratoire normal. Contrôle de soi-même. Tu hais ton patron. Tu connais la seule chose pouvant te calmer. Yes i know. Mais pas les avants bras stp, les plaies sont encore vives. Je me dresse sur les petites pattes de derrière et à genoux gagne la salle de bain. Dans l’étagère, bien à sa place, m’attend sagement mon couteau à viande. Et comme toujours, je suis la viande. Je m’assois dans le bac de la douche. Bien qu’il y ai peu d’espace, c’est le seul endroit qui permet un écoulement facile et immédiat. Je remonte la jambe droite de mon pantalon pour découvrir mon mollet. C'est bizzare mais j'ai à moitié la chaire de poule. Avec la lame, j’effleure ma peau en chantonnant une chanson douce que me chantait ma maman. Contact froid mais déjà apaisant. Placidement, j’entaille le muscle. Je sens la paix m’envahir. Le sang, instantanément, trace un chemin tortueux sur ma jambe et s’en va heurter le bac purificateur. Je ferme les yeux et imagine des paysages de verdure. Le métal s’enfonce et ma bouche dessine une grimace. Je cours dans de vastes étendues hurlant mon bonheur aux hommes qui ne sont pas là. Mes chairs s’ouvrent et me font admirer les mystères de mon moi. Je fais attention à ne pas me déchirer trop profondément. Pourtant j’ai envie d’aller plus loin. Mes cuisses méritent tout autant d’être ouvertes. Mais pas aujourd’hui. Je dois me maîtriser. Je ne veux pas me rendre aux urgences ce soir. Le temps défile, la tension se dissipe et mes coups cessent. J’ai alors la colère repue. Un long moment je reste là, assis, écoutant ce moi qui s’écoule. Bercé, je somnole. Ma boite de compresses stériles 50x2 pièces est bientôt vide. Penser aller à la pharmacie. Celles des laboratoires Sogiphar sont très bien j'reprendrais les mêmes.


Je n’ai pas faim, je veux juste dormir maintenant. Je suis seul, je suis heureux. Dans mon unique pièce, je m’affale lourdement sur le vieux matelas. Le jour me réveillera et tout recommencera. Les mêmes ridicules journées se prolongent ainsi indéfiniement. Jetez votre famille si elle vous dit « demain est un autre jour ». Ce n’est pas vrai. Demain est toujours le même jour. Le sentiment de déjà vu est d’une banalité à chier. C’est son absence qui serait étonnante. D’une poigne faible j’atteins la télécommande de ma stéréo et lance la hidden track du B.B.A. celle qui m’aide à gagner le monde des songes avec l’espoir qu’un jour tout cela cessera.


« Sometimes I've da sensation that I'm losing my mind,
Mrs Hate another friend is going around all the time
Blood red, red flash, heartbeats accelerate
I'm not dreaming, I feel da pain
Oooh hate. I want to kill someone
Oooh hate. I want to break his bones.
Brain dead
So I'm running in the streets, shooting people all around
I'm just a killer rat, and I would like to cut some throats.
Blood red, red flash, heartbeats accelerate
I'm not dreaming, I feel da rain
Oooh hate. I want to kill someone
Oooh hate. I want to break his bones.
Brain dead »

Black Bomb A


La chanson s’arrête et je lui demande de se rejouer encore, encore et en core. Elle m’aide à forger mon unité. Elle m’aide à croire que quelque part sur cette fichue planète nous sommes une force. Une force qui ne se connaît pas mais qui se cherche. La souffrance est peut-être une douleur communément partagée. Moi face au monde n’aurait plus lieu d’être. J’espère. Je crois en une utopie qui n'en serait pas une. La lune jaune filtre au travers de mes persiennes et je m’endors.




... to be continued

La suite sera en ligne mercredi 28 février


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Puisque Carol doit passé à la Parmacie, est ce que tu peux lui dire de me prendre une boîte d'aspro, j'en ai plus !

Merci, et à + !!

ton fillot !

Anonyme a dit…

"FAIM" ... Aujourd'hui, il faut manger, boire, voir, sentir, toucher, écouter, parler sans envies ni désirs ... alors que pour trois quart de la planète ces actions, absentes, sont souffrances.

Merci aux tulipes de me rendre cet appétit, ce rappel de "la première gorgée de bière" et autres plaisirs microscopiques ... Le paradis attendra ! Pensées.